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n’y réclamera, ni pour elle ni pour d’autres, des concessions de chemins de fer, et elle n’y mettra aucun obstacle aux demandes qui seraient faites ou appuyées par le gouvernement anglais. Ainsi donc, l’échiquier politique de l’Extrême-Orient est dessiné par les voies ferrées. Les grandes puissances occidentales se disputent à qui construira les chemins de fer chinois, persuadées d’ailleurs que celle qui sera maîtresse d’une de ces grandes lignes de communication le sera des pays qu’elle traverse et du point où elle aboutit. L’Angleterre abandonne à la Russie le Nord de la Chine ; elle s’y résigne, parce qu’elle ne peut pas faire autrement ; elle rencontre là un concurrent qui a pris les devans sur elle et qu’elle ne peut plus évincer : en revanche, elle fait reconnaître et consacrer par la Russie les prétentions démesurées, au moins en étendue, qu’elle a sur le bassin du Yang-tsé-Kiang. Sans doute, la Russie ne perd pas grand’chose ; elle est très loin du bassin du Yang-tsé-Kiang ; ses intérêts sont concentrés ailleurs ; le détriment n’est pas considérable pour elle, à supposer même qu’il y en ait un. Mais l’avantage est immense pour l’Angleterre. Pour la première fois, elle fait accepter par une puissance européenne le dévolu qu’elle a jeté sur la région la plus spacieuse, la plus riche, la plus habitée, la mieux arrosée, la mieux cultivée, non seulement de la Chine, mais de l’Asie tout entière. Suivant son habitude, la Grande-Bretagne s’est fait la part du lion, et jamais même elle ne se l’était faite aussi abondante. De même que l’Egypte c’est le Nil, la Chine c’est le Yang-tsé-Kiang. Il reste sans doute à l’Angleterre à obtenir des autres puissances qui ont des intérêts en Extrême-Orient ce qu’elle a obtenu de la Russie ; mais l’exemple est donné, et l’arrangement du 28 avril pourra servir de modèle. Bien qu’il ne contienne que deux articles, il en dit plus que de longs traités, Le préambule même en est d’une rédaction très suggestive. La Russie et la Grande-Bretagne, y lisons-nous, « prenant en considération la gravitation économique et géographique de certaines parties » de l’Empire chinois, etc. Cela n’est-il pas admirable ? C’est en vertu de sa gravitation économique et géographique que le bassin du Yang-tsé-Kiang doit tomber dans le tablier tendu de l’Angleterre. On ne comprend pas très bien pourquoi, mais la chose est ainsi. Elle s’explique mieux pour l’affectation de l’Extrême-Nord de la Chine à la Russie, puisque la Russie s’étend déjà en bordure tout le long de la frontière septentrionale de la Chine, et qu’elle peut la franchir sur un point quelconque à son choix. Mais quels rapports particuliers de voisinage l’Angleterre a-t-elle avec le bassin du Yang-tsé-Kiang ? Et quels rapports économiques de nature à lui constituer un droit spécial ?