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Questions oiseuses. L’Angleterre n’a qu’un mot à répondre : quia nominor leo. Cette raison dispense de toute autre. Elle est assurément très bonne, et pourquoi ne pas l’avouer ? on ne saurait trop admirer la force expansive d’une nation qui, partie d’une île relativement petite de l’extrême Occident, couvre le monde entier de son activité et de sa puissance et s’empare partout de la part la plus belle et la plus large. C’est un miracle de la politique. C’est une des plus étonnantes manifestations de ce que peut le génie humain.

Pourtant, nous l’avons dit, l’opinion britannique n’a pas accueilli sans quelque froideur, ni sans quelque hésitation, l’arrangement que lui annonçait lord Salisbury, et elle est restée, à l’égard de la Russie, susceptible et impressionnable. Elle se rappelle le proverbe que lui a cité un jour M. Chamberlain : « Quand on dîne avec le diable, il faut avoir une longue cuiller, » et elle se demande si, du Yang-tsé-Kiang à la Grande Muraille, la distance, et par conséquent la cuiller, sont assez longues. À peine l’arrangement du 28 avril était-il connu à Londres, qu’une autre nouvelle y est arrivée et y a mis les esprits en ébullition. La plupart des journaux, presque tous, se sont écriés que, le lendemain même du jour où elle avait mis sa signature au bas de l’arrangement, la Russie avait manqué à ses promesses, et cela parce qu’elle avait demandé au gouvernement chinois l’autorisation de relier à Pékin la ligne de Mandchourie. Quoi ! Pékin, la capitale de l’Empire, la ville politique, le siège du gouvernement, serait directement rattachée au chemin de fer de Mandchourie ? Qui ne voit qu’elle se trouverait ainsi placée sous la main des Russes, et que, dès lors, l’indépendance du Tsong-li-yamen ne serait plus qu’un vain mot ? Voilà ce qu’on a dit à Londres, ce qui était pousser les conséquences un peu loin et aller un peu vite. S’il était vrai que le rattachement de Pékin au réseau russe dût la compromettre à ce point, l’indépendance du Céleste Empire serait, en effet, bien menacée, mais la menace date de loin. Le chemin de fer même auquel les Anglais se sont pécuniairement intéressés, et qui doit aller de Pékin à Niou-tchang, se croisera certainement un jour avec une ligne russe allant à Port-Arthur. Dès lors, comment a-t-on pu s’étonner à Londres de la demande de la Russie à la Chine ? Il était aisé de la prévoir. Et comment aussi a-t-on pu dire qu’elle était en contradiction avec l’arrangement du 28 avril ? Il faut, pour cela, n’avoir pas lu l’arrangement, ou du moins la note additionnelle qui le complète, et où se rencontre ce passage : « Le présent accord spécial ne saurait, naturellement, entraver d’aucune façon le droit du gouvernement russe d’appuyer, s’il le juge opportun, des demandes