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bénéficiaient les partisans de la revision. Sous le couvert de l’innocence présumée du condamné de 1894, ils ont pu se permettre bien des choses ; ils se sont laissé entraîner à bien des alliances dont nous pouvons espérer que le faisceau est désormais rompu.

Le caractère de ces alliances, et la direction des coups qui étaient portés à nos institutions les plus chères, devaient singulièrement augmenter le désordre mental dont le pays souffrait. Grâce à l’arrêt de la Cour, ce désordre va cesser. On saura enfin si ceux qui ont poursuivi cette campagne n’avaient vraiment pour but que la réparation d’une erreur judiciaire. Ce but une fois atteint, ils doivent s’arrêter. Le feront-ils ? Nous le verrons bien. En tout cas, ceux qui ne se sont servis de Dreyfus que comme d’un prétexte manqueront désormais de celui-là : il faudra qu’ils en trouvent un autre, et cet autre, quel qu’il soit, nous embarrassera beaucoup moins. Déjà ils parlent de représailles : nous ne voulons pas de représailles. Déjà ils cherchent à s’assurer la complaisance et la complicité du gouvernement, et il est triste de dire qu’ils avaient à peu près réussi auprès du ministère qui vient de succomber. Mais, demain, chacun devra reprendre son véritable visage, sans déguisement et sans masque, et nous verrons alors nos adversaires tels qu’ils sont : grand avantage pour la clarté et la loyauté des luttes prochaines ! Dès aujourd’hui l’arrêt de la Cour a remis les choses dans l’état où elles étaient à l’origine, en 1894 ; il a replacé la question sur le terrain judiciaire d’où elle n’aurait jamais dû sortir ; il l’a dégagée de toutes les questions accessoires qui étaient venues s’y ajouter comme une excroissance malsaine. C’est là notre dernier motif, non seulement d’accepter l’arrêt, mais d’y applaudir. Quel soulagement, et quel bienfait ! Quand le conseil de guerre de Rennes, à son tour, aura rempli sa tâche et prononcé une fois pour toutes sur l’innocence ou sur la culpabilité du condamné, le champ de bataille sur lequel les partis se déchirent comme dans un nuage s’éclairera subitement. Tout le monde, alors, pourra se regarder face à face et se reconnaître. En vérité il en était temps.

Nous avons parlé de responsabilités et de représailles. C’est la question d’aujourd’hui et de demain ; il ne faut pas la laisser s’obscurcir. S’il y a vraiment eu des responsabilités criminelles, encourues par des hommes de mauvaise foi, nul ne peut demander qu’on les couvre. Mais la recherche et la poursuite des représailles est autre chose. Après tant d’agitations, le pays désire le repos ; il en a besoin ; il ne pardonnerait pas ceux qui, sans une obligation morale absolue, le jetteraient dans d’autres agitations encore, où il