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enfin, ce bourgeois de génie, avoir bientôt raison du dessin glacé et rond qui avait la prétention d’exprimer la forme humaine et, réveillant Phidias, lui demander le secret des vivantes souplesses et des accens variés ; nous allons maintenant nous occuper de ceux qui nous ont révélé de nouvelles ardeurs, de nouveaux sourires, de nouvelles mélancolies de la nature, non plus considérée comme simple décor à peine entrevu derrière les convulsions humaines, mais observée par des solitaires, dans ses côtés intimes et éternels...

………….

L’art se développe surtout aux temps de repos qui succèdent aux agitations, aux bouleversemens. Les orages, en déplaçant les limons, en charriant les détritus, après avoir détruit, donnent la fécondité à des terrains arides jusqu’alors : c’est ce qui arriva. Après ses fureurs, ses conquêtes sociales, sa gloire militaire qui étonna le monde, la France vaincue, blessée, reprit une vie nouvelle dans des langueurs et des attendrissemens de convalescente. Pour les âmes tendres, ce fut un renouveau béni dans la délivrance de sanglans cauchemars. La terre reverdit. Une aurore vermeille rayonna parmi les rêves de l’horizon.

Je suis, comme tous les vieillards, désabusé de bien des choses, mais je bénis le ciel d’avoir permis à mes yeux naissans d’entrevoir tant de doux réveils à travers la brume de mon berceau et les premières clartés de ma jeunesse. Alfred de Vigny, Lamartine, Victor Hugo, Eugène Delacroix, commençaient de s’élever comme des astres. Mme Récamier personnifiait l’idéale beauté ; Chateaubriand rayonnait, irisé comme le soleil du soir. Tout effort consolateur se tournait vers la nature et s’y purifiait. Tout, jusqu’à la licence, revêtait je ne sais quelle apparence attendrie. La grisette même, Lise, respirait la poésie des bosquets de Romainville ; la vulgarité bourgeoise, avec la Muse de Béranger, s’y enivrait d’un parfum de lilas.

Quel beau temps !

Un art finit ; un autre resplendit à son apogée, et semble en appeler un troisième pour s’y modérer et ne pas mourir de pléthore : ce dernier s’inspirera de l’immense amour de la nature qui va régner partout, dont l’idée pénètre à travers les obstacles jusqu’aux pauvres villages.

Or, l’amour de la nature, ici, ne s’adresse plus à un mythe, ce n’est plus un culte simplement abstrait ; c’est cet incomparable tressaillement qu’excite, dans les cœurs, le grand concert des élémens