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qui la repose de tant de gloire et de tant de bruit. Son séjour préféré fut toutefois le lac de Nemi, où les barques amarrées s’enchevêtrent dans les lianes suspendues des aunes gigantesques qui se mirent, couchés tout au long, sur la tranquillité de l’eau. Que de fois il a dû évoquer le souvenir de Tivoli et de Nemi, par les matins brumeux, dans les rêves de sa villa de Ville-d’Avray assise au bord de l’étang. Il retrouvait là les aunes et les saules penchés sur l’eau, les frais ombrages d’où émerge un pavillon comme une réminiscence de la Sibylle, les hauts peupliers antiques et le soleil criblant les pelouses d’une pluie d’or.

C’est là que, les yeux tournés vers l’étang, son buste écoute chanter les oiseaux.

Je le revois là, tel qu’à Courrières, le long de la Souchez, lorsqu’il m’est venu, déjà vieillard, encore candide, ému, adorant le beau sous toutes ses formes, passant de ses enthousiastes soubresauts à d’enfantines déclarations d’amour pour la moindre fleurette.

Tout le monde a vu le portrait de Corot que la photographie a multiplié, « sa pipette » à la bouche. Il attire par une fine bonhomie de fermier campagnard, des éclairs de bonté et d’intelligence dans les yeux brillans sous une couronne de cheveux blancs, le front toujours serein ; le nez mobile ; une grande suavité sur les lèvres arrondies en une sorte d’extase, dont les coins ne se relevaient jamais, même pour sourire. Tout en lui était charme, simplicité, effusion naïve. Ceci explique l’étonnement d’un cultivateur chez qui nous entrâmes un jour, à Arleux dans le Nord. Ce brave homme qui avait entendu parler du grand peintre bien connu dans la région, l’aborda en ces termes, étonné d’une telle simplicité : « Comment, vous êtes M. Corot ? le grand Corot, le Corot des journaux ? — Oui, mon ami. — Eh bien ! monsieur Corot, on est fier, on est hureux de voir dans Arleux des gens sérieux, des gens prononcés, des gens conséquens ! »

Pas plus que Corot, Th. Rousseau ne fut un novateur absolu. Nous avons vu d’ailleurs qu’on n’en trouve aucun dans toute l’histoire de l’art. Nous verrons plus loin quels sont les travaux de ceux qui eurent cette prétention.

Th. Rousseau, comme l’Anglais Constable, semble au départ s’inspirer des Hollandais Ruysdael et Hobbema. C’est dans la forêt de Fontainebleau, à Barbizon. qu’il développa son originalité très profonde et très variée. Je l’ai bien moins connu que Corot. Je