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extraire cette intensité d’expression qui est l’essence de l’art. A l’affût comme un faune, ardent à saisir dans le vif tous les fuyans effets de la nature, il les guette au passage. Il est peu sensible à la permanence des effets coutumiers. Il lui faut la passion avant tout : Par d’aigres printemps, ce sont, baignés de chauds effluves, des halliers dont la verdure s’exaspère aux rayons aigus, dans des efflorescences capiteuses. Ou bien ce sont des frondaisons fauves, pareilles à des robes de tigres, pleines de rayons et de nuit ; des orages d’autant plus sinistres qu’ils cuvent, encore immobiles, leurs fureurs électriques ; ou encore des aurores brouillées dans des pâleurs de convalescence ; enfin, des soirs d’automne embrasés de pourpre comme des manteaux de rois... Hélas ! ce sont aussi des défaillances, de têtues recherches d’absolu ; ce ne sont jamais pourtant les folles extravagances des décadens. Il se soutient toujours par un solide fonds de tradition.

Cependant, son cerveau ne résista pas toujours à tant d’émotions répétées. Comme tous les chercheurs inquiets qui doutent d’eux-mêmes, il eut des ambitions puériles, le besoin de marques extérieures. En 1867, il ne se consola pas, m’ont dit ses amis, d’un injuste oubli, à propos des promotions dans la Légion d’honneur. Cet incident auquel, plus orgueilleux, il n’eût fait aucune attention, aurait, paraît-il, avancé sa mort.

Que de fois le génie reste enfant !...

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Autour de ces deux maîtres, évoluèrent des talens divers. Les plus célèbres sont Jules Dupré, Diaz, Jacques, Cabat, Decamps, Français et Paul Huet.

Jules Dupré, comme Rousseau, rude fouilleur de la nature, s’enferma à l’Isle-Adam, qu’il prit pour centre de ses observations.

Il a son originalité propre qui atteint souvent une réelle puissance. Il aima les prés et les marécages. Ses ruminans barbotent avec volupté dans les mares entre les herbes grasses. Il sut la magie des ciels, la solidité des terrains. Il fit rougeoyer de beaux soirs et frissonner de fraîches aurores. J’ai dit l’homme : beau, ardent, sincère, éloquent lorsqu’il parlait de son art. On connaît son généreux désintéressement. Il eut aussi des excès de conscience. Vers la fin, il s’appesantit trop sur lui-même et alourdit ses toiles.

Ch. Jacques déploya un grand talent dans ses bergeries et ses basses-cours. Il en connut admirablement les mœurs et les figures