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relevé, mieux étoffé en valeurs à l’abri des caprices de la Bourse, où ils pourront, sans sortir de la communauté américaine, trouver la détente et l’apaisement de leurs nerfs. Avec un climat charmant pendant huit mois de l’année, c’est là ce qui leur est offert à Washington. La réunion des hommes politiques des 45 États de l’Union, les correspondans des grands journaux des deux mondes, le va-et-vient de toutes les notabilités du pays, le passage des touristes princiers, le séjour d’un corps diplomatique nombreux, y répandent, en effet, on ne sait quel arôme de cosmopolitisme dont l’équivalent ne se retrouverait dans aucune autre ville du nouveau continent.

Plus d’un de ces millionnaires, rêvant de briller, à son tour, dans la phalange de la haute société new-yorkaise, vient à Washington accomplir une sorte de stage nécessaire pour faire oublier un passé dénué de prestige. Quelques années d’une hospitalité somptueuse, avec la fréquentation des personnages en vue, l’accès des Ambassades, une ou deux saisons dans le Summerresort à la mode, et les voilà mûrs pour le ballottage dont dépend leur entrée dans l’Olympe de la cinquième avenue. Du haut en bas de l’échelle des rentes, ce mouvement est suivi par une foule plus ou moins animée du même esprit, et c’est ainsi que se constitue, dans la métropole, une population permanente, pourvue de la plus large aisance, et dont la stabilité donne tort aujourd’hui à l’ancien aphorisme, d’après lequel la société de la capitale changeait, tous les quatre ans, sous le coup de vent de la nouvelle Présidence.

Notons encore, en passant, un trait particulier à cette société, du moins dans certaines de ses sphères, et qui dérive précisément de la paix dont elle veut jouir : c’est l’abondance relative des jeunes filles et la rareté singulière des jeunes gens[1].

Trop souvent, du côté européen de l’Atlantique, s’il n’est pas incurablement oisif, au sein de sa fortune, en proie plus ou moins aux aigrefins du demi-monde, le fils de famille vit, sous une étiquette professionnelle quelconque, au râtelier paternel. Il ne s’agit pas, bien entendu, dans notre critique, de celui qui, par tradition ou par vocation, a su se choisir sa carrière pour la suivre jusqu’au bout ; mais du jeune homme qui, trop mou pour les efforts de la lutte quotidienne, confie son simulacre d’ambition

  1. Scarcity of boys.