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au paisible engrenage de quelque mandarinat dont il n’accepte les débuts infimes que pour se dédommager ailleurs. Sous-officier à trente sous par jour, surnuméraire à 1 500 francs par an, toujours à la portée des siens, il dépasse, sobrement ou non, sa solde minuscule et sa pension à peine moins modeste, tandis que, sous des mains industrieuses, se tisse la trame de son avenir de mari. Ce qu’il attend, c’est la dot compensatoire, ce sont les « espérances » qui mûrissent dans l’ombre, vieux oncles s’éteignant dans l’impénitence de leurs galanteries sexagénaires, vieilles tantes demeurées filles par maladresse ou par dévouement. Pour lui, la vraie carrière, c’est le mariage ou l’héritage ; le reste n’est guère là que pour lui donner l’air de faire quelque chose. Le jeune Washingtonien, lui, fidèle au génie de sa race, est, à cinq cents, à mille lieues du home, dans les affaires, en pleine lutte. Sportsman dans les moelles, habile à l’aviron, familier du polo et du hase bail, épris du yachting et des grandes chasses à l’élan, à l’ours gris, il se conforme pourtant d’instinct à la loi qui veut que la fortune ait pour unique rançon le travail. Dans les mines, parmi les troupeaux de son ranch, au Stock Exchange, ou à son usine, il gagne largement, mais laborieusement, une vie dans l’ampleur de laquelle s’épanouiraient deux ou trois de nos « viveurs. » Il est avant tout sa propre « espérance ; » s’il en a d’autres, tant mieux ; mais ce n’est qu’en surcroît. Il ne doit rien à personne et il épouse qui lui plaît. Il revient, pour quelques jours, du Dakotah, du Kansas, ou de la Californie, avec la belle humeur du succès qui se dessine, puis il retourne à ses moutons.

C’est pour cela qu’à Washington, les maîtresses des maisons où l’on danse deviennent rêveuses en songeant à l’équilibre de leurs quadrilles.

Veut-on, pourtant, quelques chiffres pour serrer de plus près l’accumulation croissante des richesses dans cette ville, qui, nous le savons, n’est pas un centre producteur de richesse ? Depuis 1888, il s’est bâti, par an, une moyenne de 2 000 maisons dans les diverses zones du District. Soixante architectes, dix-huit dessinateurs draftsmen ont sans cesse le compas ou le pinceau à la main. Les ondulations boisées qui entouraient Washington disparaissent sous la pioche du niveleur qui fait bientôt place au maçon. Il n’y a guère moins de 400 agences pour lesquelles l’allotissement et la mise en vente de ces terrains est une source de