Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux 190 000 citoyens de souche européenne, hommes politiques, fonctionnaires, commerçans et rentiers, que revient, presque en totalité, le droit au partage de tout ce qui concourt, dans la revue que nous venons de passer, à la richesse, à l’éclat et aux séductions de la métropole.

Il s’en faut bien, au surplus, que le noir soit, à Washington, ce qu’on le voit ailleurs. Sans doute, l’anthropologie n’a pas encore découvert que son cerveau ait regagné les 150 grammes inscrits, dans la balance, au profit du cerveau caucasique ; et l’infériorité spécifique de la race n’a perdu, jusqu’ici, presque aucune de ses marques essentielles. Néanmoins, le niveau atteint, en moyenne, par les hommes de couleur, dans l’échelle des notions supérieures et des conditions sociales, est sensiblement plus élevé à Washington que chez n’importe quel autre groupe de leurs congénères. Cette différence s’explique par un fait qui est à signaler, en dehors du traitement réservé aux noirs, dès l’origine, autour du Capitole et qui, ainsi que nous l’avons vu, a toujours été empreint d’une douceur particulière. Après la guerre de Sécession, le parti républicain, qui venait de remporter la victoire, offrit aux nègres un certain nombre de places dans les services fédéraux. Cet appel attira vers la métropole toute une catégorie de gens de couleur relativement intelligens et instruits, dont beaucoup, les républicains se perpétuant aux affaires, furent maintenus dans leurs situations assez longtemps pour y acquérir de l’expérience et quelque autorité. Les Démocrates, en revenant au pouvoir, ne se montrèrent pas moins libéraux, si bien que, grâce à la durée de ce régime tutélaire, un groupe notable de la population noire a pu dépasser, dans presque tous les domaines, le rang très modeste que la nature semblait lui avoir assigné. On trouve, en effet, à Washington, un grand nombre de médecins, d’avocats, de commerçans, de clergymen, d’agens d’affaires, et même un membre du Congrès[1] appartenant à cette race et faisant leur profit du taux élevé qui est la règle pour les rémunérations de tout ordre, dans la capitale.

C’est ainsi que la Case de l’Oncle Tom est devenue un cottage où de petites mains africaines tapotent sur le clavier des mélodies toutes surprises de chanter sous des doigts qui paraissaient mieux faits pour tambouriner la bamboula sur une peau d’onagre.

  1. Par une fantaisie du hasard, ce représentant se nomme M. White. Le traitement des membres du Congrès est de 5 000 dollars par an.