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devenu plus populaire encore : Il était un p’tit homme, qui s’appelait Guilleri. Henri Heine écrivait dans Lutèce, à propos du Déserteur : « Voilà de la vraie musique française ! La grâce la plus sereine, une douceur ingénue, une fraîcheur semblable au parfum des fleurs des bois, un naturel vrai, vérité et nature, et même de la poésie. Oui, cette dernière n’est pas absente, mais c’est une poésie sans le frisson de l’infini, sans charme mystérieux, sans amertume, sans ironie, sans morbidezza, )e dirais presque une poésie jouissant d’une bonne santé. » Sans être aussi vrai que du Déserteur, très supérieur à Cendrillon, cela ne laisse pas d’être un peu vrai de Cendrillon. Dès les premières scènes, dans la chanson de Compère Guilleri, qui court à travers le caquet des deux sœurs se parant pour le bal, on reconnaît le caractère ou l’idéal français défini par l’écrivain allemand. J’entends certain idéal, car alors déjà nous en avions plus d’un, et, trois années avant Cendrillon, Joseph, dont nous parlerons bientôt, en révélait un autre. Mais, par la grâce et l’ingénuité, par la fraîcheur et le naturel, par la vivacité, l’esprit, la précision un peu sèche et l’élégance un peu frêle, la chanson de Cendrillon était bien française.

Six ou sept ans après, et des cendres du même foyer, une autre allait s’élever. Oui, tout autre, et pour marquer la différence, le contraste même de deux races et de deux génies, ce peu de notes pourrait suffire. La situation, le moment et le lieu, tout est identique. Les deux péronnelles sont encore à leur toilette et, comme la Cendrillon de Nicolo, la Cenerentola de Rossini se tient assise « dans un petit coin du feu. » Mais la pensée, mais le style, tout est changé. Aujourd’hui plus que jamais, la vérité d’au delà des Alpes est traitée d’erreur en deçà. Dans la Cenerentola, presque tout nous semble faux, et même fou ; non seulement à côté, mais au rebours du sujet. De notre Cendrillon, celle de notre pays, de notre enfance et de nos rêves, nous ne retrouvons plus rien ici. « Cenerentola, contralto. » — Quelle antithèse, pour ne pas dire quelle contradiction, entre ce petit nom et cette grosse voix ! Una volta c’era un re, « Il y avait une fois un roi. » Je me souviens d’avoir entendu, peu d’années avant sa mort, l’Alboni chanter cette ballade, qui, dans l’opéra bouffe italien, occupe la même place que Compère Guilleri dans l’opéra-comique français. Elle chantait assise, et depuis longtemps il n’était plus de cheminée dont le manteau pût l’abriter tout entière. La voix, quelques notes au moins de cette voix, avaient gardé leur puissance avec leur chaleur. Tout était colossal, la chanteuse, le son et même la chanson. Sans doute la canzone italienne est beaucoup moins que le refrain de Nicolo selon l’esprit et le sentiment