Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Partout ou presque partout ainsi, la musique de Cendrillon convient au sujet et aux personnages. Si le début du duo d’amour sous le chêne des fées est une adorable chose : si la petite — oh ! toute petite — aubade printanière du dernier acte est une chose excusable, c’est, encore une fois, parce que tout cela convient, et que la convenance est une des grandes lois de l’art,

n se pourrait bien que le premier acte de Cendrillon fût un chef-d’œuvre. Il me paraît l’être non seulement par la qualité, mais par la quantité. La musique y coule de source, et d’une source qui depuis longtemps, depuis Manon et Werther, ne jaillissait plus aussi copieuse. Voici que de nouveau, dans une partition de M. Massenet, la musique, et toute musique, abonde ; mélodies, rythmes, harmonies, timbres, en un mot tous les élémens ou toutes les formes sonores sont doués, en ce premier acte, de charme, de vie et de beauté. J’observais, en écoutant Cendrillon après avoir relu la Cenerentola, que décidément le progrès ou l’évolution musicale du siècle s’est opéré dans le sens du nombre et, pour ainsi dire, de la division et de l’émiettement. Voyez comment, dans un même sujet, l’idéal va de ce qui est un à ce qui est multiple. Déformant le vieux conte de fées selon son propre génie, le maître italien n’y trouvait que l’occasion ou le prétexte d’un long éclat de rire. Plus délicat, plus attentif aux aspects divers, le maître français n’en sacrifie aucun, et sa musique, en faisant la part de la joie, réserve celle du sentiment et du rêve. Ainsi la conception de l’œuvre est moins uniforme. Et l’exécution, à son tour, comporte plus de variété. Dans la musique de Rossini, des causes simples produisent partout des effets puissans, mais sommaires. Il n’y a que deux agens d’expression et de beauté : le rythme et la mélodie ; les autres : l’harmonie et l’orchestre, ne sauraient user de leur pouvoir, qu’ils ignorent. De plus, chacune de ces deux forces, mélodie et rythme, s’exerce toujours dans le même sens et d’un seul coup. Un air, un duo, un finale, ne fût-ce qu’une phrase de la Cenerentola, tout cela n’est jamais que d’une seule pièce. Dans Cendrillon, tout cela se partage et se brise en menus éclats. L’art ancien résumait, le nôtre analyse. Et cette opération n’a rien de voulu, de réfléchi, ni d’artificiel. Elle n’est que le procédé naturel et forcé d’une musique plus souple, qui se prête et se plie mieux à la pensée, au sentiment, à la parole, et qui remplace de plus en plus par les détails infinis les vastes généralisations d’autrefois.

Détails infinis, mais qui peuvent être infiniment précieux. Sans compter qu’ici les détails sont ajustés ou plutôt fondus avec tant de grâce et d’aisance, qu’ils donnent à l’ensemble la variété sans lui retirer