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notre race, M. Massenet applique le principe avec discrétion ; il l’applique pourtant. En cette scène charmante, où la vérité n’a d’égale que la variété, la voix, l’orchestre suit librement l’ondoyante pensée de la jeune fille. Qu’elle rêve au bal où sont allées ses sœurs ; que, pour oublier et se distraire, elle vaque à d’humbles travaux ; qu’enfin ses paupières appesanties se ferment et qu’elle s’endorme ; pour chacun de ces menus faits, intérieurs, invisibles, la musique trouvera quelque nuance nouvelle, elle saura varier l’allure du rythme, le dessin de la mélodie, et le timbre, cette couleur du son.

Il déplaît, dit-on, à M. Massenet qu’on vante son adresse et ce qu’on nomme, d’assez vilains noms, son métier ou sa facture. Encore une fois ce n’est pas de cela seulement qu’il convient de louer l’auteur de Cendrillon ; mais c’est de cela aussi. Comme il est écrit, tout ce premier acte ! Comme les élémens, innombrables aujourd’hui, de la musique, sont au service du musicien, bien loin qu’il soit au leur ! Comme il dispose deux et les domine Alors que tant d’autres se débattent, comme il se débrouille ! Harmonie, tonalité, modulations ; alliance ou succession des notes, des phrases, des accords et des sonorités ; souplesse et liberté du discours, développement discrètement symphonique, je ne sache pas une partie et comme un coin d’un art infiniment complexe, où la dextérité de cette main, je ne dirai pas ne s’applique, mais ne se joue. Une ou deux fois même, au cours de ce premier acte, M. Massenet s’est servi du leitmotiv. Oh ! si peu ! Mais si bien ! Un des nombreux et charmans trios entre la mère et ses deux filles commence par le thème, pris seulement plus vite et sans ironie, de la recommandation maternelle : Faites-vous très belles ce soir ! Les quelques mesures exquises du sommeil de Cendrillon reposent — oui, reposent véritablement — sur les deux premiers motifs, transposés en majeur, et ralentis, du monologue précédent. Ainsi M. Massenet fait tout ce qu’il veut ; il wagnérise au besoin, mais sans insister, en passant, afin que, si par hasard on s’en aperçoit, on sache bien que ce n’était que pour mémoire et vraiment pour se divertir.

Au point de vue même de la féerie, — je ne parle que de la féerie musicale, — le premier acte de Cendrillon est au-dessus des autres. Depuis que Mozart a semé de quelques notes suraiguës et de roulades un air de la Reine de la Nuit, il est de règle, presque de foi, que les fées et généralement les êtres surnaturels ne s’expriment pas autrement que par vocalises, trilles, traits et fioritures, le tout exécuté à des hauteurs qui donnent le vertige et l’impression du danger beaucoup plus que du mystère. Trop souvent, et même au premier acte,