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une situation délicate et difficile. C’est pour cela, sans doute, qu’il avait demandé le concours de M. Brisson, de M. Bourgeois, de M. Sarrien et de quelques autres ! Nous reprochons, au contraire, à M. Poincaré de n’avoir pas fait et de n’avoir pas voulu faire ce dont on l’accuse si injustement. S’il avait voulu le faire, il aurait réussi sans beaucoup de peine à former un ministère. Tout le monde s’y attendait, et il y avait à la Chambre une majorité toute prête à l’appuyer. Le moment semblait venu pour lui d’accepter une grande responsabilité, et de montrer des épaules propres à la soutenir. Mais il a couru après les radicaux ! Ceux-ci l’ont conduit très loin et l’ont planté là : après quoi ils l’ont accusé d’avoir voulu faire exclusivement un ministère de parti.

M. le Président de la République a fait appeler M. Waldeck-Rousseau. n’y aurait quelque exagération à dire que celui-ci s’est mis aussitôt en mouvement ; il s’est d’abord remué infiniment peu ; il avait l’air d’attendre quelque chose. Les bruits les plus divers couraient sur la combinaison qu’il projetait, et quelques-uns paraissaient si extraordinaires qu’on ne voulait pas y croire. On racontait, par exemple, qu’il ferait entrer M. Millerand dans son ministère. M. Waldeck-Rousseau et M. Millerand dans un même cabinet ! Cela semblait paradoxal, et non sans motifs. M. Millerand était le chef attitré, officiel, du parti socialiste. Quant à M. Waldeck-Rousseau, après avoir déserté la politique pendant plusieurs années, il y avait fait une rentrée assez retentissante, il y a environ cinq ans. Nommé alors sénateur de la Loire, ce n’est pas tant au Sénat qu’il a déployé son activité et son éloquence, que dans un grand nombre de banquets et de réunions, soit à Paris, soit en province, où il s’appliquait à compléter et à fixer l’idée qu’on se faisait déjà de lui. Il avait laissé le souvenir d’un ministre qui avait eu au moins les intentions d’un homme de gouvernement, et nul depuis n’avait défini avec plus de talent, ni de vigueur, les conditions dans lesquelles un gouvernement pouvait s’exercer. A l’entendre, il fallait rompre résolument avec les radicaux, lesquels n’avaient plus d’autre moyen de vivre que de s’appuyer sur les socialistes : or, paraphrasant un mot célèbre, M. Waldeck-Rousseau aurait dit volontiers que le socialisme, c’était l’ennemi, et il le prouvait avec une abondance d’argumens, une puissance de logique, enfin une énergie de diction, bien faites pour entraîner la conviction de ses auditeurs. Personne ne se serait permis de douter de la sienne. Il était devenu l’adversaire personnel du radicalisme et du socialisme. Il avait fondé à Paris un grand cercle Républicain pour entretenir contre eux un éternel combat. Il traitait avec une sévérité impitoyable les gouvernemens composés de