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bonne bourgeoisie étaient tous élevés à peu près de même, avec plus ou moins de succès, suivant leurs dons naturels. Omer Talon, avocat général au Parlement de Paris et l’un des grands orateurs parlementaires du siècle, avait aussi fait de fortes études classiques ; les citations grecques et latines se pressaient sur ses lèvres en improvisant. Il avait de « vastes connaissances » dans la science du droit, beaucoup plus compliquée au XVIIe siècle qu’à présent. Cependant, lui non plus n’avait pas traîné sur les bancs. A dix-huit ans, il était reçu avocat, commençait à plaider et devenait célèbre immédiatement. Au même âge, Perrot d’Ablancourt, le traducteur des Anciens, était avocat au Parlement, après d’excellentes humanités et plusieurs années de philosophie, de droit et autres « études supérieures. » Antoine Le Maître, le premier solitaire de Port-Royal, qui avait commencé par être à vingt et un ans le plus grand avocat de Paris, avait trop bien profité de ses humanités rapides ; du temps qu’il plaidait, on lui reprochait de mettre du grec et du latin partout.

La noblesse sacrifiait presque toujours l’instruction, qu’elle méprisait, à l’impatience de voir ses fils dans la vie active. Elle mettait ceux-ci dans les pages dès l’âge de treize ou quatorze ans, ou à « l’académie, pour apprendre à se servir d’un cheval, à tirer des armes, à voltiger et à danser[1]. » Les livres et les écritoires passaient aux yeux des gens de qualité pour des ustensiles roturiers, bons pour les plumitifs et les « beaux-esprits, » — « Aussi, écrit M. d’Avenel en parlant du règne de Louis XIII[2], les gentilshommes sont-ils parfaitement ignorans, les plus illustres comme les plus modestes ; il y a entre eux, sous ce rapport, à quelques exceptions près, égalité absolue. Le connétable de Montmorency était « en réputation d’homme de grand sens, bien qu’il n’eût aucune instruction, et à peine sut-il écrire son nom. » Maint grand seigneur n’en savait pas plus long, et cette ignorance n’était pas « honteuse, au contraire ; elle était voulue, affectée, glorieuse, » imitée avec empressement par la petite noblesse. « Je ne taille ma plume qu’avec mon épée, disait fièrement un gentilhomme. — Je ne m’étonne donc pas, riposta un bel esprit, que vous écriviez si mal. »

Les exceptions dépendaient du caprice des pères, et se rencontraient parfois où on les aurait le moins attendues. Le fameux

  1. Lettre de Pontis.
  2. Richelieu et la monarchie absolue.