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d’un trait juste ; l’homme de qualité qui écrivait devait se garder d’attacher de l’importance à ses œuvres. On s’était repris de goût pour la politesse de l’esprit, qui avait presque disparu dans le fracas des guerres civiles, mais on conservait toutefois dans la bonne société l’horreur des générations précédentes pour les pédans et le pédantisme.

Ignorans ou instruits, ces éducations hâtives les jetaient tous dans les différentes carrières à peine adolescens et dans la fleur de l’étourderie, mais aussi de l’enthousiasme et de la générosité. La France s’en trouva bien ; les temps auraient été trop durs sans le correctif de leurs illusions et de leur belle humeur. Les traditions des siècles où la force était tout pesaient encore sur les âmes. L’une de ces traditions voulait que l’homme fût « dressé au sang » dès son enfance ; on citait un seigneur qui faisait tuer ses prisonniers par son petit garçon, âgé de dix ans. Une autre dispensait d’avoir pitié des humbles ; la souffrance roturière n’existait pas pour un gentilhomme. Il y avait ainsi tout un héritage d’idées inhumaines par lesquelles étaient protégés et entretenus les restes de barbarie qui traînaient dans les mœurs et qui ont failli rendre odieux ces beaux cavaliers. Ceux-ci ont été sauvés par le rayon de poésie qui s’est posé sur eux. Ils étaient bien querelleurs, mais si braves, bien sauvages quelquefois, mais si dévoués, et si gais, et si amoureux. Ils étaient extraordinairement vivans, parce qu’ils étaient, ou qu’ils avaient été, extraordinairement jeunes, comme on ne sait plus et comme on ne peut plus l’être à présent.

Ils avaient donné aux femmes de leur crânerie. Les deux sexes vivaient beaucoup de la même vie, dans les hautes classes. Ils fréquentaient les mômes lieux et y partageaient les mêmes plaisirs. On se rencontrait dans les ruelles, à la comédie, au bal, à la promenade, à la chasse, dans les voyages à cheval et même dans les camps. Une femme de qualité avait des occasions continuelles de se pénétrer de l’esprit de son temps. Il en résulta que les ambitieuses et les imaginatives voulurent avoir leur part de la vie publique, et elles se la taillèrent si belle que Richelieu se plaignait de l’importance des Françaises dans l’État. On les vit se mêler de politique, intriguer et conspirer comme les hommes, qu’elles poussèrent aux plus folles équipées. Quelques-unes avaient des garde-robes de déguisemens et couraient les rues et les grands chemins on moines ou en gentilshommes. Plusieurs