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et même à la légende ne savait pas écrire ; mais elle savait travailler et appareiller la pierre, équarrir le bois et en faire des charpentes, modeler et cuire l’argile, fondre et battre le plomb et le bronze, l’or et l’argent, ciseler l’ivoire. Toute portion de matière qui a été façonnée par l’outil de ces artisans a la valeur d’un document authentique. Comment ces sociétés étaient constituées et quelle vie elles menaient, comment elles se figuraient le lendemain de la mort, c’est ce que révèlent toutes les empreintes que la main de l’homme a laissées sur les choses qu’elle a touchées, les murailles colossales de Tirynthe et les majestueuses coupoles funéraires de Mycènes, la disposition des demeures royales dont le plan se lit encore sur le sol, et celle des sépultures qui étaient cachées en terre, aussi bien que les armes, les instrumens, les vases et les bijoux qui ont été recueillis épars dans les décombres des édifices ou ensevelis dans la tombe. Grâce à tous ces monumens, nous commençons à distinguer, dans une ombre qui, d’année en année, s’illumine de lueurs plus vives, les traits qui caractérisent ce monde des héros achéens dont l’image, transformée par la tradition orale et singulièrement agrandie par sa puissance d’invention, se reflète dans l’Iliade et dans l’Odyssée, comme celle de Charlemagne et de ses preux dans nos Chansons de geste.

De ces âges obscurs et reculés, transportons-nous dans la Grèce de Pisistrate, de Périclès et d’Alexandre. Les maîtres de la jeunesse lui disent quelles pertes nous avons faites, quelle faible part de l’œuvre littéraire du génie grec se trouve avoir échappé au grand naufrage de l’antiquité ; ne conviendrait-il pas qu’ils lui indiquassent tout au moins où chercher un supplément précieux d’informations, qui vienne combler les lacunes de la tradition écrite ? Il y a bien des variantes de mythes importans qui, à peine rappelées par un mot qu’un abréviateur de basse époque a jeté en passant, ont fourni aux artistes et particulièrement aux peintres céramistes le sujet de nombreux tableaux et nous font ainsi connaître des épisodes et des personnages dont il n’y a presque pas trace chez les auteurs. D’ailleurs, nous aurions les poètes cycliques qui ont tous péri, nous aurions les lyriques dont un seul, Pindare, a survécu, avec ce Bacchylide dont les fragmens font aujourd’hui la joie des hellénistes, nous aurions toute la tragédie dont nous ne possédons que des débris, nous aurions toute la comédie qui n’est plus représentée que par