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lui, une « joie belliqueuse ; » mais prétendre quelle nais se d’un génie farouche et voué au mal, d’un instinct sanguinaire, d’une sorte de volupté secrète à voir les hommes se ruer sur les hommes, et, malgré ses appels au diable, en faire quelque chose de diabolique serait d’une psychologie trop courte, fausse par sa brièveté et, en vérité, puérile : ce n’est que la joie de pouvoir développer enfin de très hautes facultés de commandement, dont, jusqu’à la vieillesse, il avait pu croire qu’il ne trouverait jamais l’emploi.

Au mois de juillet 1870, l’Allemagne était prête, la France ne l’était pas : toutes les raisons de la guerre franco-allemande se réduisent à celle-là. Le coup de crayon, donné sur la dépêche d’Ems, ne le fut que parce que c’était l’heure. Ce n’était plus « essayer de deviner le jeu de la Providence, » mais le lire et le tenir ; ce n’était plus « devancer l’évolution historique, » mais l’aider à venir à son terme. Quoi qu’on pense du procédé et quelque condamnable qu’il soit en morale stricte, dans l’esprit de Bismarck, la guerre de 1870 est juste, de cette espèce de justice politique des guerres qui sont sûrement nécessaires. Il la faut pour achever l’Allemagne, pour en unir les deux parties, pour souder ensemble le Nord et le Sud. Il ne faut pas qu’il manque son Allemagne : c’est pourquoi il veut cette guerre, pourquoi il la prépare, pourquoi il l’amène, pourquoi il ne permet pas qu’on l’évite, pourquoi il la pousse, pourquoi il la presse, pourquoi il l’épuise ; c’est pourquoi il la veut subite, rapide, impitoyable : peut-on même dire qu’il la veut, si sa volonté, en la faisant, n’est, à ses propres yeux, que la servante de la nécessité ? La nécessité veut qu’on la fasse, qu’on la fasse vite, qu’elle finisse, et qu’elle finisse définitivement. Envers l’Autriche, l’Allemagne pouvait et devait être indulgente ; envers la France, toute indulgence serait la pire des fautes, elle serait le germe des futures revanches[1]. Pour la France, la maxime machiavélique s’amplifie, la dureté s’en exaspère : Non seulement, puisque tu es le plus fort, frappe donc, mais tue, pendant que tu es le plus fort. Cette fois, tu as devant toi l’Erbfeind, l’ennemi héréditaire ; derrière toi, et devant toi encore, si tu n’en coupes la série par le glaive, des querelles séculaires. Il faut, — la nécessité le veut, et c’est la justice, par conséquent, — que tu hâtes « un dénouement capital pour l’histoire du monde[2]. » Plus de place ici pour ces grands mots, toujours voltigeans sur

  1. Pensées et Souvenirs, t. II, p. 121.
  2. Pensées et Souvenirs, t. II, p. 121.