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dont elle marque l’apogée, je ne dis pas quelques symptômes avant-coureurs du déclin, mais la crainte que son triomphe ne soit menacé. Il ne me paraît pas que la concurrence chinoise établie sur la côte d’en face le préoccupe beaucoup. Toute son inquiétude, qui n’est pas seulement une inquiétude commerciale, lui vient de ces Allemands à tête carrée, économes, patiens, infatigables, habiles à exploiter les colonies des autres et que, depuis vingt ans, il rencontre à chaque pas dans son trop petit univers. Hong-Kong les a remis en présence. Le même spectacle que m’offrirent les côtes salitraires de l’Amérique du Sud, je l’ai retrouvé sur le théâtre de l’Extrême-Orient. Plus de la moitié du commerce de Hong-Kong est aux mains de la colonie allemande. Elle amasse, thésaurise, s’élargit, refoule l’Anglais, sans heurt, insensiblement. Le voyageur ne s’en rend compte que par l’animosité que le nom seul de l’Allemagne inspire aux colons d’Angleterre ; mais l’antagonisme des deux peuples éclate dans leur vie quotidienne. L’Anglais hautain, jouisseur flegmatique, guindé même après boire, comme si son ivresse, sa fréquente ivresse, obéissait encore à une consigne impérative, organisateur admirable et travailleur médiocre, — chez qui la paresse a revêtu la forme élégante des sports, — l’Anglais de Hong-Kong boit ferme, joue au polo, entretient généralement une maîtresse chinoise ou une métisse, fréquente assez souvent chez les « Américaines, » dépense beaucoup et dirige les affaires de haut. J’ai été surpris de voir comme il se donnait peu de mal et de quel vide ses journées étaient remplies. La société se morcelle en coteries provinciales. Les fonctionnaires méprisent les marchands ; les industriels ne fraient pas avec les fonctionnaires. Et ces banales mesquineries ne vaudraient pas la peine d’être notées, si la morgue insupportable, qui en rehausse la petitesse, ne les faisait paraître encore plus mesquines dans ce décor grandiose et resserré de la puissance britannique. Au contraire, la colonie allemande, d’ailleurs moins hétérogène, se soutient, forme une famille compacte, travaille assidûment, jouit peu. L’Allemand possède la faculté qui manque à l’Anglais, comme au Français, hélas ! d’adapter ses productions aux besoins de chaque pays. C’est à l’industrie allemande que le Chinois s’adresse de préférence ; c’est le génie allemand qui accapare de jour en jour les grands marchés du monde. « Avant cinquante ans, me disait un jeune commerçant de Hambourg, dont la jeunesse se flattait peut-être, Hong-Kong sera de fait une colonie