Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/406

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on en a encore besoin pendant les premiers mois. Puis il tombe, et ce n’est plus qu’une affaire de volonté. »

Je n’ai pas voulu quitter Hong-Kong sans visiter l’orphelinat de la Sainte-Enfance. J’ai passé bien souvent devant des orphelinats ; il ne me vint jamais à l’esprit que leur organisation pût m’intéresser : je n’étais pas en Chine. Je me rappelle aussi qu’on s’égayait jadis du rachat des petits Chinois menacés par d’affreux groins. A dire vrai, je crois que les petits Chinois mangent de l’ogre plus souvent qu’ils n’en sont mangés. Mais cette œuvre me semble aujourd’hui la plus douce, la plus humaine et la plus belle des œuvres, puisqu’elle m’a permis de respirer, sur ce coin de terre britannique, au milieu d’un extraordinaire concours de peuples, l’âme pitoyable et maternelle du pays de France. Dans ces rochers splendides où l’Anglais braque ses canons, où l’Allemand cale ses coffres-forts, où l’Asie apprend chaque jour le pouvoir du chèque et de la force brutale, il ne me déplaît pas que la France étende le manteau de saint Vincent de Paule. Et puis cette maison, à demi bâtie sur un terrain que la mer a dû lâcher, est baignée de quiétude et de lumière. J’étais guidé dans ma visite par une sœur d’Alsace, une charmante femme : un séjour de dix ans à Hong-Kong avait fané ses couleurs et amaigri son visage ; mais ses yeux rayonnaient d’une imperturbable jeunesse, et sa grâce s’alliait le mieux du monde avec ses allures viriles, presque militaires, qui la relevaient tout simplement de franchise et de loyauté.

L’orphelinat se compose d’un « tour » où les parens chinois apportent leurs enfans quand il les croient perdus, d’un ouvroir où travaillent ceux qu’on a pu sauver, d’un asile de vieilles femmes et d’un pensionnat que fréquentent des Portugaises, des métisses et même des filles de Chinois enrichis. Nous avons parcouru d’abord l’infirmerie. De minuscules créatures agonisaient dans leurs couchettes blanches. Je n’avais point idée qu’il pût se produire de pareilles larves humaines. Leur tête trop grosse pour leur corps, leur tête de pavot où le nez formait un creux et dont la ligne des yeux se dessinait à peine, penchait le long d’une tige décharnée. « Tenez, me dit la sœur, en voici un qui va mourir. C’est un garçon. Tous les garçons qu’on nous remet sont condamnés. Les Chinois n’hésitent guère à se débarrasser de leurs filles, mais donner leur garçon, c’est pour eux une sorte de renoncement à la vie future. Celui-là sera mort avant la nuit. On l’a