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faim, ses vieux bijoux de famille, ses meubles, sa maison. Les Chinois ont dressé l’autel de leurs ancêtres là où ses pères allumaient des veilleuses à la Vierge, patronne de la ville et des hardis voyages. Mais il a un Sénat, le Leal Senado, dont les plus gros Chinois sont les grands électeurs, un archevêque et un gouverneur qui tour à tour se brouillent et s’embrassent, et trois gazettes qui dénoncent les abus et vengent suffisamment la morale publique. Il a des tribunaux où le moindre procès fait vivre des lignées de Macaïstes sur les sapèques de plusieurs générations de Chinois. S’il ne trafique plus des coolies, s’il ne vend plus ouvertement de chair humaine dans les caves de ses Barracouns, du moins la loterie et le jeu encouragent sa fainéantise d’une infatigable espérance.

L’étrange spectacle ! Dans les pays d’immigrations, il reste parfois des exemplaires vivans de la race autochtone, dernières lueurs de vie voltigeant sur des marécages funèbres. Ils conservent leurs usages, peignent leur agonie des couleurs du passé ; ce sont les Veddhas à Ceylan, les Negritos aux Philippines, les Aïnos au Japon. Les Macaïstes ressemblent à ces familles mourantes. Leur type qui s’éloigne du nôtre sans se fondre dans le type chinois, leurs mœurs qui ne sont ni absolument européennes ni entièrement asiatiques, leurs vagues superstitions du moyen âge, leur dégénérescence et leurs ridicules font de ces « fils du pays » de pauvres êtres obscurs, et comme les personnages d’une comédie burlesque où l’auteur, convaincu du péril jaune, nous eût caricaturés dans l’Occident conquis du XXXe siècle.

Sur le quai, devant le Leal Senado, en plein centre, le Chinois s’évente aux balustres vermoulus des vieux hôtels lusitaniens. De petites femmes bigarrées se penchent du premier étage et suivent des yeux la pacotille allemande d’un colporteur à longue tresse. Les maisons étincellent de bibelots, fourmillent de faces jaunes et de robes bleu ciel ; et ce ne sont pas toujours des visages que les fenêtres encadrent, car le Chinois n’a point horreur du vide et plane souvent d’une manière peu décente sur la tête des passans. Rues antiques, ruelles sanctifiées par de beaux noms. Traverses de la Miséricorde et du Bon Jésus, dalles usées sous les pas des fiers écumeurs, débris d’une cité fabuleuse où les caravelles dégorgeaient leurs sacs d’or et d’où François-Xavier cingla vers le Japon, toutes ces pierres ne sont plus qu’un lit desséché qu’envahit peu à peu le flot intarissable des arlequins éclatans et