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ce que nous en étions restés ? » Le conteur se fait prier. « Allons donc, ne dis donc pas que tu ne veux pas commencer ! Tu as la langue assez bien pendue I Si tu faisais l’avocat, tu en aurais envoyé, des gens, aux galères ! Allons, vite, sors-nous la fin. » Et le récit reprend.

Colomb est à peine à terre que parmi ses hommes un parti se forme contre lui. « Ils lui disaient : Oui, vous avez raison ; il n’y a pas à dire, vous avez de l’instruction... C’est l’Amérique. Mais, tout de même, si c’était un autre pays ? — Allez le demander aux gens d’ici, » leur répond Colomb. Les voilà en marche à travers les forêts vierges, dont il est donné une description détaillée et épouvantable. Après bien des peurs, ils rencontrent « un drôle d’être, la tête peinte comme un jouet, à moitié nu, avec une couronne de plumes d’oiseau. Ils s’arrêtent, ils prennent courage. — Eh ! l’homme ! qu’ils lui font, qui êtes-vous ? — Eh ! fit-il, qui est-ce que je puis être ? Je suis un sauvage. »

« Et celui-là, alors, leur fit la politesse de les conduire chez le roi qui était un sultan tout vêtu d’or, avec un casque de plumes qu’on aurait dit un musulman. Et eux, alors, avec de bonnes manières, disent : — Vous savez, nous venons de loin ; et c’est pourquoi — disent-ils — nous voudrions savoir si vous êtes ou si vous n’êtes pas Américain... — Qu’est-ce que vous dites ? fit-il. D’où nous sommes ? Nous sommes d’ici. Mais comment on appelle ce pays-ci — fit-il — ma foi, nous ne le savons pas. — Mais voyez un peu leurs façons ! Ainsi, ils étaient nés en Amérique, et ils ne le savaient pas ! »

Les matelots crient : « Vive la liberté !» et : « Nous sommes tous frères », et se mettent à voler les sauvages. Le Romain explique que chez eux tout est en or, et qu’ils n’usent pas de monnaie. Et il observe : « Nous, qui sommes une famille d’une race de gens plus civilisés, nous en avons, nous, des écus, — et le gouvernement les prend. » Avec le même bon sens il juge les mœurs des sauvages. Ce qui le frappe surtout, c’est qu’ils se marient tous. Pourquoi ? C’est que, là-bas, c’est simple... Ici, au contraire, les papiers, les écritures, la mairie, le maire, le curé... tout cela effraye. Et puis le notaire, la dot et le reste... Sans ces embarras, les choses iraient bien mieux. « Ah ! si le mariage n’existait pas, il y en a des gens qui se marieraient ! »

Revenons à Colomb. Il retourne en Europe. Il débarque avec des sauvages enchaînés, des perroquets, des singes d’Afrique,