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puisqu’on ne pouvait la faire que très incomplète. Ce fut une déception : quelques toiles assez justes de Joseph ; presque rien de Carle et fort peu de chose d’Horace. On y revit le portrait du Frère Philippe, que je viens de mentionner, et on eut peine à s’expliquer le grand retentissement d’autrefois. Tout le monde fait mieux aujourd’hui. Et cette branche de buis, et cette fente au mur, tant admirées par les badauds, jadis, on ne les regardait plus... Comme les préoccupations sont, à présent, plus élevées, même dans le public !

Le gendre d’Horace Vernet, Paul Delaroche, partagea sa gloire dans un ordre d’art tout différent. Il fut le peintre des morts tragiques et s’inspira surtout de l’histoire d’Angleterre. Très habilement mis en scène, ses drames, malgré leur froideur d’exécution, impressionnaient vivement : ses Enfans d’Edouard sur leur lit gothique, serrés ensemble dans une terreur glacée, tandis qu’au bas de la porte, d’où émerge une lueur suspecte, le petit chien flaire l’arrivée des assassins ; sa Jane Grey, à genoux sur l’échafaud, les yeux bandés, et qui, les bras nus guidés par un prêtre respectueux et attristé, allonge ses mains fluettes, cherchant le billot où poser son cou frêle : ce bourreau hésitant à saisir sa hache et qui, d’un œil attendri, contemple la pâle victime dont il va faire sauter la tête ; ces femmes qui se lamentent ; son Charles Ier insulté par des soldats qui souillent de la fumée de leurs pipes sa face résignée ; son lord Strafford qui tend ses bras désespérés entre les barreaux de sa prison ; tous ces tableaux étaient bien faits pour toucher les âmes sensibles d’une profonde pitié.

L’Assassinat du duc de Guise passe encore pour un chef-d’œuvre, tant sa composition est ingénieuse. Il ne faut donc pas s’étonner du grand engouement qui accueillait Paul Delaroche à chaque salon. On lui savait gré de la mesure de bon goût qu’il apportait à exciter la pitié sans trop d’horreur, sans répandre le sang, à soigner son dessin trop réfléchi, un peu figé, et son exécution serrée, sa couleur sobre, manquant de vibrations. Très équilibré, d’un esprit distingué, de mœurs austères, il n’avait ni les qualités, ni les défauts des tempéramens fougueux ; il péchait plutôt par excès de sagesse. Son principal mérite était une clarté bien française. On l’a justement comparé à Casimir Delavigne, avec qui il entretenait d’ailleurs des rapports d’amitié.

Je ne connaissais ses tableaux que par les gravures du Magasin pittoresque encore en son enfance, lorsque Paul Delaroche