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firent pas moins grand bruit, bien que personne jamais ne les connût. Les mêmes chuchotemens curieux les annoncèrent. Il s’agissait de Pompiers courant à un incendie, d’un mouvement à tout renverser, mais qui n’arrivèrent pas au lieu du sinistre, et s’arrêtèrent, je crois, après le brillant départ des premiers coups de crayon. Toujours est-il qu’on ne les trouva pas à l’exposition pour laquelle ils étaient depuis longtemps annoncés et où ils devaient faire merveille à côté de la Dernière Charrette des condamnés de la Terreur, par Ch.-L. Muller. Comme ce dernier demandait à Couture s’il serait prêt pour le Salon, il répondit : « Non, je n’aurai pas fini ; cette année, je te prête la France, tu me la rendras l’année prochaine ! »

Parmi les peintres les plus célèbres d’alors, il faut citer Hippolyte Flandrin, l’élève chéri d’Ingres, dont il continua la manière avec moins de défauts et moins d’accent. À vrai dire, cet artiste consciencieux et respectueux est digne de vénération. Mais j’ai toujours vu en lui plutôt un grand saint qu’un grand peintre. Il avait toutes les vertus ; il lui manquait un petit vice pour les émoustiller. À cela près, il mérite tous les succès qui ont marqué sa carrière et même ce privilège, d’habitude réservé aux évêques seuls, d’avoir son monument funéraire dans une église, celle de Saint-Germain-des-Prés, qu’il a ornée de peintures murales très appréciées. Il exposa pourtant un portrait qui passionna le tout Paris d’alors et qui est resté célèbre sous la désignation de : la Femme à l’œillet.

Quelques peintres d’histoire, à ce moment, travaillaient surtout pour le musée de Versailles : Alex. Couder faisait ses intéressantes toiles de la Révolution, le Serment du Jeu de Paume, la Fête de la Fédération, l’Assemblée Nationale, qui plaisent encore par une sorte de vérité assez curieuse chez un peintre d’une éducation toute classique. Alaux, Larivière, deux habiles pinceaux, Philippoteaux, Léon Cogniet et Émile Signol, dont le Siège de Jérusalem, et surtout le Passage du Bosphore se distinguent par des qualités de sentiment. Dans ce dernier tableau, il y a une tentative nouvelle au moment où il a été peint et qui, selon moi, n’a pas été assez remarquée : c’est un rayon du soir qui baigne poétiquement les figures et moire la mer que frappent d’élégans rameurs, sous un ciel limpide. Et jamais sourire céleste ne fut mieux en situation, car il illumine d’une calme allégresse et comme d’un nimbe de foi ces groupes de l’héroïque