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Peu de temps après, son Étang d’Optevoz mit Daubigny tout à fait en vue. On y remarquait la même délicatesse avec plus de force. Un étang calme où tremblent des joncs, au delà, sur la berge, un cheval blanc et une charrette à l’abri d’une colline, des gazons d’un vert délicieux, des eaux soyeuses, un soleil argenté composent une symphonie qui ne ressemble pas à Corot, ni à Rousseau, ni à Français, et qui nous ravit tous.

Depuis, Daubigny a élargi sa manière, a varié ses effets et ses motifs et a su garder jusqu’à sa mort son charme pénétrant. Il s’est complu aux berges de l’Oise, aux vergers embaumés de fleurs ou chargés de fruits, à l’herbe grasse qui doit être succulente pour les bestiaux, aux chemins creux où pénètrent dans l’ombre les dernières clartés du crépuscule, aux nuits de lune où des nuages pommelés moutonnent, troupeau céleste, sur des parcs à moutons. J’ai eu l’occasion de bien connaître Daubigny, à Marlotte, en 1857. Je m’attendris lorsque je songe à ces jours de jeunesse où nous mêlâmes nos cris d’ivresse devant les splendeurs naturelles... Un généreux soleil nous souriait à tous deux ; il avait fécondé notre récolte. La première exposition des Champs-Elysées venait de fermer ses portes ; nous y avions eu, lui, de superbes paysages de Normandie, et moi, la Bénédiction des Blés. Où est ce palais qui abrita nos chères espérances ? où es-tu, toi, mon cher Daubigny ? Te souviens-tu, ami, aux hautes régions où tu planes, de ces études que nous fîmes ensemble à Montigny-sur-le-Loing ? Comme les prairies exhalaient la tendresse ! Dans quel doux rayonnement le soleil s’inclinait, derrière l’église et les masures dégringolant la pente qui tombe dans la rivière ! Te souviens-tu de ces oiseaux qui poussaient, dans l’épaisseur des joncs et des roseaux, leur note fraîche et passionnée comme celle de ta peinture ?

Mais je m’aperçois que Daubigny m’a entraîné trop loin, ce qui m’arrivera encore avec d’autres personnalités, car il est impossible de suivre, tout le temps et pas à pas, une route absolument régulière. Je reviens aux premiers temps de la seconde République.

Les expositions n’avaient plus lieu au Louvre ; on s’était aperçu qu’il y avait abus et danger à recouvrir pendant trois mois les chefs-d’œuvre anciens par des toiles modernes moins consacrées. Elles se firent aux Tuileries d’abord, puis au Palais-Royal et au Garde-Meuble, faubourg Poissonnière. C’est à l’une de ces