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et M. Tcharykoff, soutenu d’ailleurs et guidé par ses propres sentimens, avait su comprendre et exécuter le vouloir de son souverain. Ainsi, l’un des plus puissans monarques, chef reconnu d’une vaste église, semblait chercher à travers les siècles passés et dans l’histoire de l’Eglise romaine une ébauche des grandes initiatives que sa généreuse jeunesse l’entraînait à concevoir et que la force de son empire lui permettait d’oser. On apprécia, au Vatican, le caractère de cette démarche, et l’on en goûta l’accent. M. Tcharykoff, au terme de son message, demandait à Léon XIII, au nom de Nicolas II, d’« appuyer de toute la puissance de son autorité morale la grande œuvre de l’affermissement de la paix. »

Cette demande était comme la ratification de l’un des rêves les plus chers de Léon XIII, comme la réponse à l’un de ses plus anciens désirs. A l’heure où la Papauté, par la perte même de sa souveraineté temporelle, semblait éloignée pour longtemps des jeux de la politique, Léon XIII, jaloux d’une majestueuse revanche, a toujours aspiré et parfois réussi à maintenir dans ces jeux l’ordre et l’harmonie. Des malveillans insinuaient qu’en prétendant à ce rôle il ne cherchait qu’un adroit détour, une façon de porte dérobée, pour rentrer dans les affaires temporelles d’où les événemens l’avaient banni ; le langage pontifical démentait un tel commentaire. Père de la grande famille humaine, c’est au nom de cette paternité même qu’il voulait limiter l’usage et l’abus de cette terrible monnaie avec laquelle se règlent, en dernière heure, les comptes des nations, et qui s’appelle le sang : il croyait ainsi remplir un devoir, non point inaugurer une tactique. Son rôle d’arbitre ou de médiateur ne lui apparaissait point comme un passe-temps de souverain déchu, mais comme la suite logique, indiscutable, de sa mission spirituelle. On a souvent admiré, et non sans raison, cette imagination forte et sûre, d’où Léon XIII prend incessamment son élan, et qui, sans jamais dépasser les limites du champ du possible, aspire à l’explorer tout entier ; mais ce n’est point seulement son imagination, c’est sa conscience même qui pousse le Pape à être l’artisan suprême de l’union : sa lettre à tous les Princes et à tous les Peuples, écrite en 1894, renferme à cet égard sa pensée tout entière.

Après avoir exprimé le souhait qu’ « un rapprochement s’opérât entre les nations pour prévenir les horreurs de la guerre, » il continuait en ces termes : « Nous avons devant les yeux la situation