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première fois depuis fort longtemps, le Saint-Siège avait le droit de se considérer comme interrogé sur la situation de l’Europe ; et le Saint-Siège, à peu près banni des conseils européens depuis la paix de Westphalie, faisait la réponse qu’il eût faite plusieurs siècles avant cette paix. Il mettait même, si l’on peut ainsi dire, une sorte de coquetterie grandiose à expliquer qu’en parlant de la sorte il prétendait simplement se répéter.

« Contre un si néfaste système, continuait le cardinal Rampolla, le Saint-Siège n’a pas cessé d’élever la voix pour appeler l’attention des princes et des peuples. Déjà dans le moyen âge, à la faveur de l’heureuse unité de la chrétienté, la voix des pontifes romains trouvait partout un accès facile ; elle réussissait, par la seule force de son autorité, à concilier les princes et les peuples, à éteindre les querelles par des paroles d’arbitrage, à défendre les faibles contre l’injuste oppression des forts, à empêcher la guerre, à sauver la civilisation chrétienne. Aujourd’hui encore, bien que les conditions du monde soient changées, le Pape ne cesse pas d’employer sa force morale, avec un constant souci, pour faire pénétrer dans les esprits des peuples l’idée chrétienne de justice et d’amour, pour éteindre les luttes de nationalité, pour rappeler les nations aux devoirs réciproques de fraternité, pour inculquer le respect des autorités établies par Dieu pour le bien des peuples et pour opposer au droit de la force la force du droit, conformément aux principes de l’Évangile. » Ainsi se déroulait, dans la lettre du cardinal Rampolla, à l’abri d’un raccourci d’histoire, une discrète démonstration d’immutabilité. Des voix s’étaient élevées, depuis trente ans surtout, pour professer que la force prime le droit ; elles avaient une irréfutable hauteur, trait distinctif des parvenus du struggle for life ; et il semblait que les peuples dussent courber sous ces doctrines nouvelles non seulement leur autonomie, mais leur raison même. Une haute souveraineté morale, impuissante, ou à peu près, pour la protection effective des autonomies menacées, pouvait du moins mettre en garde la raison humaine contre la tentation de rendre hommage à la force : le cardinal Rampolla rappelait que tel avait été, dans tous les temps, le rôle de la Papauté. Et l’antique thèse de la « concorde des deux puissances préposées par la Providence au gouvernement du monde, » et les mots toujours prestigieux de « Sacerdoce » et d’« Empire, » — ces deux mots qui sont pleins d’histoire et tout ensemble imprégnés de rêve, — s’acheminaient