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comme on savait, par ailleurs, la générosité de leurs dispositions personnelles, on s’entendait pour respecter leur contrainte, tout en les en plaignant. Leur vigilance même, au demeurant, donnait l’illusion d’une invisible présence du Pape.

La lettre qu’écrivit Léon XIII à la reine des Pays-Bas, en date du 29 mai, sera sans doute publiée quelque jour : il remerciait la gracieuse souveraine pour « l’intention qu’elle avait eue de solliciter l’appui moral du Saint-Siège ; » il expliquait que le Saint-Siège, désigné, par sa « haute investiture, » pour être le « médiateur de la paix, » considérait comme son office, non seulement un concours moral, mais une coopération effective ; et la définition même du ministère apostolique, l’histoire du Souverain Pontificat, les souvenirs de son propre règne, étaient allégués par Léon XIII à l’appui de cette déclaration ; rendant hommage, enfin, au « but éminemment bienfaisant » de la conférence, il promettait que, malgré « l’anormale condition » du Saint-Siège, malgré « les obstacles qui paraissent surgir, » il continuerait « de remplir cette traditionnelle mission, sans aspirer à d’autre but que le bien public… » C’est avec ces sentimens éminemment pacifiques que Léon XIII demeurait absent de la conférence de La Haye ; et quant aux représentans de l’Italie, dont la vigilance était tournée vers un autre objet, Léon XIII essayait de désarmer leurs soupçons et de leur rendre quelque liberté de travail pour l’œuvre commune, en donnant l’ordre à son intelligent internonce, Mgr Tarnassi, de s’éloigner, quelques semaines durant, de la capitale des Pays-Bas.


M. l’amiral Canevaro, même tombé du pouvoir, put se sentir complètement vainqueur ; devant les représentans de son souverain, le terrain était déblayé. Le souvenir de cette victoire durera longtemps ; le prestige en a peu duré. A peine était-elle assurée, que beaucoup d’hommes politiques de la jeune Italie l’ont déplorée. Il y avait, au delà des Alpes, une sorte d’apologétique nationale, qui commençait à être classique. On étalait la grandeur du pontificat de Léon XIII, la splendeur réitérée des manifestations jubilaires, l’admiration dont l’entoure le monde chrétien, et l’on en concluait que jamais la Papauté ne fut plus haute et jamais plus libre. Or, c’est l’Italie seule qui, prétextant que le Pape a cessé d’être souverain, lui a fermé les portes de la conférence de La Haye.