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V

Mais ici intervient l’action personnelle des jockeys. Ils sont environ 115 investis du titre qui leur donne droit de monter dans les grands hippodromes, plus 70 « apprentis-jockeys, » n’ayant pas encore gagné les dix courses nécessaires pour être admis à la licence. Leur âge varie de 15 à 33 ans, bien qu’on en cite quelques-uns qui soient restés en exercice jusqu’à plus de 50 ans. Il faut une vocation spéciale. Ce n’est rien d’être bon écuyer ; beaucoup de lads, excellens à la « promenade, » sont incapables de monter en course. Non qu’ils se laissent distraire ou intimider, comme il arrive à tous les acteurs les premières fois qu’ils affrontent les regards du public ; l’habitude efface cette appréhension. Mais le difficile est d’acquérir le « sentiment du train, » de savoir si l’on va vite ou doucement. Rien ne semble plus simple ; cependant beaucoup de jockeys ne peuvent jamais s’en bien rendre compte. Ils végètent avec le salaire des montes sans éclat, réglementairement tarifées à 60 francs, et à 120 francs en cas de gain. Quant à l’élite, à la douzaine de « fines cravaches » qui se font de 30 000 à 40 000 francs par an, voire 60 000 francs en Angleterre, leur supériorité réside dans la tête plus que dans les mains, dans l’esprit d’à-propos qui leur fait mener une course. Ceux-là, si la force physique leur manque, savent y suppléer par l’adresse, comme ce fameux Tom Barker, que peu de rivaux ont approché. Adoré des parieurs, choyé des demi-mondaines parmi lesquelles il fit des passions, ce jockey romantique, poitrinaire déjà avancé, véritable Dame aux Camélias du turf, courut jusqu’au dernier souffle. On lui faisait respirer des sels à l’arrivée ; on le descendait de cheval avec autant d’égards que l’on en devait mettre à sortir le maréchal de Saxe de sa légendaire petite voiture.

Ces grands jockeys, lorsqu’ils sont économes, — ce n’est pas souvent leur qualité maîtresse, — parviennent à la fortune. Le plus renommé peut-être de ceux qui montent aujourd’hui, Tom Lane, qui, dans une seule année, gagna 110 courses, et fut sept fois vainqueur dans le Grand Prix de Paris, débuta on 1875, à douze ans, dans un « nursery-handicap » réservé aux chevaux de deux ans. Il était si ému qu’en arrivant premier, d’une encolure, il ne s’aperçut même pas de son succès. Maintenant, dans