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dans l’imposante désolation. Des lézards traversent la piste ; toute une vie de scarabées et de fourmis pullule sous la forêt des herbes ; tout cela bruit avec le vent qui froisse les touffes de drinn ; on entend vivre les choses ; on croit sentir respirer la nature.

De l’ombre où nous sommes plongés, dans notre break aux toiles rabattues, le paysage paraît plus éblouissant, illuminé d’une lumière plus intense. Au premier plan se détache notre chaouch, avec sa veste de soie verte soutachée d’or et sa chéchia écarlate. Parfois il se retourne et, me montrant un point quelconque de l’espace, il me le désigne d’un rauque nom arabe. Car la minutie indigène a donné des noms à chaque accident de terrain, presque à chaque pierre de ce pays désert.

Et tout le jour c’est le même paysage, la même vallée abandonnée et verte, le tapis ininterrompu de l’alfa.


La mosquée minuscule, où repose le corps de Tedjini, est à peine visible dans l’entassement pressé des maisons et le resserrement des ruelles. Les Arabes n’ont pas comme nous le souci de dégager leurs monumens, de leur ménager de larges perspectives, de les baigner de cet air libre qui est peut-être le seul charme de nos bâtisses modernes. Semblables à nos aïeux du moyen âge, qui brodaient au long d’obscures ruelles les dentelles des cathédrales, les peuples du désert ont comme la crainte de l’espace ; ils aiment le recueillement, l’intimité, et dédaignent de donner un riche écrin à leurs bijoux d’art.

Du dehors, la mosquée de Tedjini paraît une maison comme les autres, véritable église d’humilité, bâtie de boue, avec de larges surfaces crevassées, brûlées, craquelées et s’émiettant lentement d’une longue vétusté sous le soleil. Ah ! l’implacable soleil de ces régions torrides, ennemi des êtres et des choses et qui ronge les monumens comme les hommes d’une fièvre mortelle ! Tout disparaît vite sous ce climat et, après deux ou trois siècles, les constructions retournent à la poussière. Seuls, les anciens Egyptiens et les Romains ont bâti pour l’éternité, et leurs ruines, que la vieillesse a consolidées, restent debout, massives, pesantes, augustes d’antiquité reposée, dressées au milieu des lentes destructions d’alentour. Mais les Arabes sont insensibles à la durée des choses. Ils savent que tout doit périr et ils ne craignent la mort ni pour eux-mêmes ni pour leurs œuvres.