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Nous entrons. Au dedans, c’est toujours, en ces pays d’éblouissante lumière, le même enchantement d’ombre fraîche, de paix somnolente, de silence étouffé, sous la pesée des voûtes basses, par l’épaisseur des tapis qui enfoncent sous les pieds et donnent la sensation d’un sol d’herbages, d’une terre grasse et spongieuse de prairie. Elle est toute petite, cette mosquée, très intime, très recueillie. De vieilles choses dorment là, jamais dérangées, sous le suaire de la chaux vive. Singuliers artistes que ces Arabes du désert, qui mêlent si étrangement la grandeur simple et imposante et les enfantillages de joliesse usée et de gaminerie baroque ! On trouve là des caprices ridicules de peuples enfans, des ex-voto naïfs, des manières de jouets, des guenilles, des offrandes trop modernes sorties des bazars d’Alger. Mais il y a aussi des objets de grande valeur et de grand art : coffrets d’argent ciselé, lampes de cuivre ajouré, soies brochées de fleurs aux teintes passées, velours pâlis aux mourantes couleurs. Les murs sont jusqu’à mi-hauteur plaqués de carreaux de faïences rares, anciennes, pâlies elles aussi à l’ombre douce du sanctuaire. Ces faïences ont des teintes étranges et presque inexprimables, des bleus d’espaces célestes, des jaunes couleur de sables, des roses d’aurores, des violets de nuits étoilées ; et les verts dominent, des verts d’eaux marines, qui réfléchissent, en l’adoucissant encore, la pâle lueur qui vient de la porte, et jettent partout des clartés indécises, des ombres verdâtres, l’obscurité lumineuse d’un aquarium.

Toutes ces merveilles sont entassées dans un édifice branlant et irrégulier, dont les voûtes, mal recouvertes de chaux vive, laissent çà et là transparaître, au milieu de la blancheur crue, les tons bruns de la terre séchée. Le toit, en troncs de palmiers mal équarris, rongés des vers, tombe en pourriture, s’émiette et verse sur le sol une légère et continuelle pluie de poudre grise. Les piliers sont consolidés par des poutres de bois, ot piliers et murailles sont déjetés, tordus sous la lente poussée du temps. Combien exquises ces colonnes, dans leur art fruste et naïf ! Les constructeurs n’ont pas trouvé ici, en plein désert, de ruines romaines ou byzantines ; ils n’ont pas eu de modèles ; ils n’ont su comment orner leurs chapiteaux, et alors, dans leur imagination délicieusement ignorante, ils ont, avec des contradictions et des maladresses, sculpté des fleurs étranges, inconnues, follement fantastiques, des fleurs de songe, comme on peut en rêver dans ce pays sans fleurs.