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La plus vaste de ces dayas est colle de Tilremt, que nous atteignons dans la matinée, après quinze heures de secousses ininterrompues. Il y a là un caravansérail tenu par un Français ; nous devons nous y arrêter pendant la chaleur torride ; nous pourrons y déjeuner et délasser nos membres meurtris sur un lit immobile, si toutefois il y a des lits et pas de punaises. Hélas ! il n’y a pas de lits. Enfin le maître de poste consent à céder le sien. La chambre est propre, fraîchement blanchie à la chaux. « Il n’y a pas de punaises en ce moment, » nous dit notre hôte ingénument.

Elle est superbe, cette daya de Tilremt, qui déploie sur une dizaine d’hectares l’ombre épaisse de deux mille bétoums au large dôme de feuillage. Sous les hautes ramures, dans la nuit verte, sur un sol imprégné de l’eau qui découle souterrainement des plateaux calcinés, le monde des plantes s’est épanoui, s’est emparé de ce coin de fraîcheur et d’obscurité douce ; on enfonce dans la terre spongieuse, on y marche sur un tapis toujours vert ; les fleurs, qui dans ces pays s’étiolent et meurent sous le soleil hostile, naissent ici à foison, dans ce fond humide, dans l’ombre molle qui tombe des arbres ; bleuets, coquelicots, marguerites, boutons d’or, d’espèces inconnues dont j’ignore les noms, éclaboussent de taches claires le velours sombre des herbages, qui semblent un de ces tapis bariolés comme on les aime dans ces régions aux monotones horizons d’uniforme lumière. Et de partout, dans cette oasis du Grand Désert, les oiseaux se sont rassemblés, dont le gazouillis se môle à la musique chantante des fontaines.

Elle est aussi, cette daya, le rendez-vous des troupeaux qui errent, durant des mois, dans les étendues vides. À cette heure brûlante où le soleil fait rage, là-haut, sur les plateaux, une scène de la vie patriarcale, toujours la même depuis l’origine des temps, se déroule à mes yeux. Autour de l’abreuvoir, des milliers de moutons, de chèvres et de chameaux sont là, serrés les uns contre les autres en larges taches mouvantes, grises ou brunes, pleurant, le cou tendu, humant l’eau prochaine, tandis que le grincement monotone de la poulie fait une basse sourde à tous les bruits de ce coin de nature vivante. Le sol est tout autour défoncé, couvert de flaques d’eau ; avec une joie enfantine, on se mouille, on piétine dans la boue humide.

Il y a là aussi une admirable citerne, profond souterrain maçonné, où les pluies de l’automne passé sommeillent lourdement