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supérieur du Cercle, le temps se passe à préparer notre expédition. Ce ne serait pas une petite tâche, si le colonel ne m’avait épargné de traiter directement avec les Arabes, toujours prêts à voler un voyageur inexpérimenté. Lui-même choisit le guide qui nous conduira à Ouargla, loue quelques chameaux et attache à notre personne un cavalier du bureau arabe en qualité d’interprète. Enfin il met le comble à ses bontés en nous faisant délivrer des vivres par l’administration et en nous prêtant ses propres cantines et sa tente, plus spacieuse que la nôtre.

Chaque jour, quand la fraîcheur crépusculaire descend sur la vallée, nous nous exerçons à monter à chameau. Ce n’est chose ni facile, ni agréable ; rien de plus fatigant que le balancement saccadé de la grande bête qui en une heure vous rompt les os. Mais comment se passer de cette désagréable monture ? Outre que les chevaux et les mulets s’épuisent dans les sables, où ils enfoncent et trébuchent continuellement, il leur faut chaque soir une ration d’eau que nous ne pourrions leur fournir, alors que les puits sont parfois distans de cinq ou six journées de marche.

Les Arabes distinguent deux sortes de chameaux : le djemel ou chameau de charge, le seul que l’on voie dans le Nord, et le mehari ou chameau de selle, d’origine targuie et fils du désert.

Le chameau de bât, le djemel, est sans contredit une des créatures les plus disgracieuses de ce bas monde. Avec ses côtes pelées, d’où pendent lamentablement quelques touffes de toison laineuse, sa répugnante saleté, son odeur fétide, son éternel dandinement d’oie, sa bosse de graisse qui oscille tantôt à droite, tantôt à gauche, son long cou sinueux dont il ne sait que faire, sa tête trop petite, ses yeux trop gros, il a la démarche solennelle d’un notaire et la stupéfiante suffisance d’un imbécile. Ajoutez qu’il est inconcevablement bête, entêté, désobéissant, peureux et glouton. Voulez-vous aller à gauche ? il préfère la droite, sans raisons. Lui cédez-vous ? il reviendra à gauche, incapable toujours de suivre le droit chemin. Avec cela grognon et pleurard, pleurant quand on le charge, pleurant quand on le décharge, pleurant quand on ne lui fait rien, et fantaisiste, d’une fantaisie baroque et horripilante, et capricieux, comme s’il se croyait une jolie bête. Avec de pareils êtres, il n’y a qu’un argument : la matraque ; et son des pelé et déchiré est comme un écriteau infamant qui proclame son entêtement et sa sottise.

Quelle différence avec leurs cousins, les nobles et fiers meharas !