Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/678

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour un mois : Ghardaïa, avec ses minarets pointus, Beni-Isguen, étagée sur les pentes du plateau devant le rideau de palmiers de son oasis, Mellika dans l’enfoncement du vallon et, en haut, sur le plateau même, Bou-Noura, la brillante, le père de la lumière, dont les maisons badigeonnées de chaux vive étincellent encore aux derniers rayons du jour, tandis que sur la vallée s’allongent les ombres grandissantes des montagnes.


A un second tournant, les quatre villes disparaissent et en avant de nous s’estompe confusément dans la brume du soir El-Ateuf, la dernière des cités confédérées, un peu mélancolique dans ce coin solitaire de la vallée, qui se prolonge droite, interminable, sans fond, vers Ouargla et le pays des Grandes Dunes. La nuit est tout à fait tombée. Des voiles bleuâtres enveloppent la campagne, mettant aux choses le charme des lignes moelleuses et indécises. Elle n’est pas noire, l’admirable nuit d’Afrique, mais bleue, transparente, lumineuse comme le jour, sous le ciel laiteux où tremblent les étoiles. On dirait que des espaces tombe un jour bleu, un jour étrange d’avant la création du soleil.

Aux abords des villes du désert, c’est l’heure où la vie, assommée sous la chaleur du jour, se réveille et s’anime. Les esclaves noirs vont travailler à l’oasis, dont les palmes foncées se silhouettent sur le fond clair du firmament, derrière la cascade de cubes de pierre qui est la ville. Les femmes, drapées en statues antiques, sortent de leurs demeures et, sculpturales, une cruche sur la tête, se rendent vers les puits, tandis que les enfans jouent sur le sable fin et comme fluide de la vallée. De toutes parts les pâtres ramènent les troupeaux de chèvres à l’abreuvoir, en chantant de rauques chansons qui roulent dans les échos du soir ; et les chèvres, en masses noires, en taches mobiles d’encre, se pressent autour du puits sur la poussière humide. De la ville des fumées montent dans le ciel, toutes droites. Moutons et chèvres bêlent ; les chameaux grognent sourdement, les chiens hurlent aux étoiles, au loin glapissent les chacals, miaulent les hyènes. Et par-dessus ce paysage biblique roule comme un accompagnement le grincement des poulies des puits, un grincement lent et prolongé, continu, qui évoque l’idée de l’eau qui monte, qui coule sans relâche dans les petits canaux et dont lu pensée seule rafraîchit délicieusement.