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matins, nous les aurons, ces retards irritans. D’abord l’escorte prend le café : un Arabe qui se respecte ne travaille pas auparavant. Puis, pour replier la tente, on se dispute : Abdallah refuse d’y aider sous prétexte qu’il est cavalier d’escorte et interprète, et je dois l’y forcer. Alors commence, dans une inexprimable confusion, le chargement des chameaux. Quelles bêtes irritantes et inintelligentes et criardes ! Avec cela, les hommes ne sont pas moins irritans que les bêtes : insoucians, indifférens à la valeur du temps, ils procèdent, avec une activité brouillonne et bruyante, à des chargemens mal combinés ; certaines bêtes sont écrasées sous le poids, d’autres n’ont rien à porter. Il faut tout recommencer. Et puis, les charges sont mal équilibrées : à la première fantaisie des chameaux (et on ne sait pas à quel point ces animaux d’aspect placide sont fantaisistes), à leur première fringale de galop, voilà les charges par terre.

Enfin nous sommes en route, sous le soleil déjà brûlant. Nous descendons la vallée de l’Oued-M’zab ; les sables épais poudroient au loin, entre les collines rocheuses qui supportent le plateau de la Chebka. Elles sont exquises à regarder à cette heure matinale, ces collines toutes baignées de chaude lumière, avec leurs découpages d’ombres violettes, nues sous leur manteau de pierre, décharnées, déchiquetées, étalant au plein jour leur squelette d’or pur.

À un moment, nous quittons la vallée, qui fait un détour inutile vers le Nord ; par un étroit vallon, en grimpant sur des éboulis de pierres et de sable, nous atteignons la surface du plateau.

Ici l’aspect change, et c’est une nouvelle révélation du désert dans l’infinie variété de sa monotonie. Le plateau étale jusqu’à l’horizon, singulièrement reculé dans la transparence de l’atmosphère sèche, la perspective horizontale de son immense platitude. La vallée a complètement disparu entre les deux rampes qui la limitent et dont les bords plats semblent se continuer au même niveau sans interruption ; on n’en soupçonnerait pas l’existence si proche. Le sol, formé d’une fine poussière pailletée d’argent, étincelle. Cette poussière est le résultat de la décomposition des assises de grès sous le continuel balayage du vent ; elle se soulève en petits nuages qu’on voit venir de loin, de très loin. À perte de vue, la chaude couleur de la terre jaune éclate, dure aux yeux, sous le ciel intensément bleu, plaquée çà et là de taches d’un