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comme une fosse et qui flambe sous le soleil. Je pars seul. Tout autour, les murailles perpendiculaires, régulièrement stratifiées, présentent toutes les teintes du rouge brique ; le fond est rouge aussi, sans micas étincelans, mat et brûlant. Sur cette terre d’oxydes métalliques, sur cette terre de fer, aucune plante, aucune herbe n’a poussé. Bientôt j’atteins les falaises du plateau environnant ; le petit édifice a presque disparu dans l’éblouissement de la lumière ; il est dans le lointain noyé de mirages ; des lignes de palmiers bordent là-bas une mare irréelle, et je ne distingue plus quels sont les palmiers du jardin du vieux et quels sont les jeux du mirage. Dans l’intense réverbération rouge, ma tête s’égare, mon esprit vacille et je me hâte de revenir pour ne point tomber.

Et le soir, au crépuscule, je m’amuse longtemps à voir abreuver les chameaux, au bruit de la poulie qui grince dans le silence de la nuit tombante.


5 Octobre.

Ce matin, cheminé de nouveau sur le plateau pierreux. Il est plus monotone que jamais ; pendant plusieurs heures, pas une aspérité, pas un oued, rien, rien que la platitude sans bornes, élargie sous le ciel, sombre, étincelante, environnée d’horizons tremblans. Le seul incident de la matinée est la rencontre d’un mulet mort, dont nos chameaux s’écartent d’instinct. Le climat sec du désert conserve merveilleusement ; il y a, paraît-il, un an que ce mulet est là et la peau est encore adhérente aux os, toute racornie et recroquevillée. C’est avec un serrement de cœur que je passe à côté de cette bête dévouée, qui est morte bravement dans son service et à qui on n’a pas rendu d’honneurs.

L’après-midi seulement, le paysage change. La masse puissante du plateau commence çà et là à se déchirer, préparant sa grande dislocation dans la région des hautes dunes. Alors on voit se creuser de solitaires vallons, de profonds lits de rivières qui vécurent jadis aux temps géologiques et qui maintenant sont mortes. Plus d’une fois je m’arrête, rêveur, au bord de ces oued desséchés, laissant devant moi filer la caravane. Je demeure longtemps, le cœur ému. les yeux gonflés, tout rempli de la tristesse de voir ce fleuve qui n’est plus rouler ses sables vers la mer des dunes qui les engloutira à jamais. Ah ! la lassitude