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nous allons entrouvrir, et dont nous allons brièvement résumer quelques documens. Nous les emprunterons aux éminens médecins qui ont entrepris d’éclairer l’opinion, et de la soulever contre notre plus redoutable ennemi ; à MM. les professeurs Debove et Joffroy, à M. Brunon (de Rouen), au docteur Jacquet, médecin des hôpitaux qui a essayé d’aller combattre le monstre sur son terrain même, au docteur Jacquet (de Bâle), qui a résumé dans une monographie magistrale les travaux des médecins et des physiologistes contemporains ; enfin aux publications infiniment nombreuses qui témoignent d’un mouvement de révolte grandissant. La rumeur anti-alcoolique commence à gronder. On la saisit déjà dans ces études qui s’adressent pour la plupart à une élite savante et préparée, et par-dessus sa tête au grand public lui-même.

I

Le développement progressif de l’alcoolisme dans notre pays tient à des causes diverses, dont la principale paraît être, comme nous l’avons dit, l’énorme accroissement des cabarets, la pullulation des débits de boisson, sous le régime de la loi du 17 juillet 1880. Les deux phénomènes sont dans une liaison étroite. Ce qui s’est passé chez nous est l’exacte contre-partie de ce qui s’est produit en Suède ; mais l’enseignement qui en découle reste le même.

Les conditions naturelles de la Suède en faisaient un pays à céréales, qui produisait particulièrement l’orge et le seigle. La rareté des voies de communications s’opposant au transport de ces encombrantes récoltes, les agriculteurs étaient obligés de les convertir en alcool, produit plus maniable. Dès la découverte de la production des eaux-de-vie de grains au commencement du XVIIe siècle, les Suédois utilisèrent cette ressource. Il n’y eut pas d’exploitation agricole qui n’eût sa distillerie. La production et la consommation de l’alcool s’étendirent dans des proportions inouïes. L’eau-de-vie coula à flots : elle fut considérée comme un objet de première nécessité.

L’alcoolisme et ses conséquences habituelles s’installèrent dans le pays. En 1829, la consommation par tête était montée à 23 litres ; le crime et la folie se multipliaient, le tiers des conscrits étaient impropres au service.