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dès le XIe siècle. Arnaud de Villeneuve le retrouva cent ans plus tard en distillant le vin et le nomma esprit ou eau de vin : c’est l’alcool naturel. L’Allemand Libavius, vers la fin du XVIe siècle, réussit à le retirer des fruits ou des grains fermentes traités dans l’alambic : c’est l’alcool industriel.

Cette liqueur subtile, à laquelle on accordait des propriétés plus ou moins mystérieuses, resta un produit d’officine et une curiosité jusqu’au XVIIe siècle, où elle commença d’apparaître comme boisson. À partir de ce moment, l’usage s’en répandit rapidement et déjà Labruyère le reprochait aux jeunes gens de la cour de Louis XIV. Il n’a pas cessé de se populariser depuis cette époque jusqu’à nos jours. La consommation de l’eau-de-vie est en marche ascensionnelle en France et en Belgique ; dans la plupart des autres pays au contraire, en Angleterre, en Suisse, en Allemagne, en Amérique, au Canada, elle est entrée en décroissance à la suite des mesures de répression dont elle a été l’objet dans ces dernières années.

L’ancienne médecine et l’hygiène naissante ne se montraient pas sévères pour l’ivresse accidentelle. L’école de Salerne permettait l’excès mensuel : semel in mense ebriari. C’était une concession à la faiblesse humaine qu’il ne faudrait pas prendre pour un précepte impératif. D’ailleurs, il s’agissait de la boisson naturelle, du vin, et non de l’eau-de-vie que l’on ne connaissait pas encore.

L’alcoolisme résulte de l’usage continu de l’alcool ou des liqueurs dont il forme la base. Point n’est nécessaire que cet usage quotidien, répété, soit poussé jusqu’à l’apparition des phénomènes bruyans et caractéristiques de l’ivresse. On s’alcoolise sans s’enivrer. Les alcooliques ne sont pas fatalement des ivrognes. Ceux-ci sont des buveurs excessifs, incorrigibles, sacrifiés, mais en définitive peu nombreux en comparaison de l’immense multitude des alcoolisés tranquilles. Des hommes qui ne sont jamais ivres s’empoisonnent pourtant. Il suffit, pour constituer un alcoolisme moyen, de consommer journellement, comme le font beaucoup d’ouvriers et d’employés, un ou deux litres de vin, deux petits verres et deux apéritifs. Lorsque la loi Roussel s’est proposée de combattre l’ivresse, elle n’a donc rien fait pour remédier aux ravages de l’alcoolisme.

Sans doute, de l’eau-de-vie au vin ou au cidre qui l’a fournie il n’y a pas d’autre différence (si l’on néglige l’action des matières