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sur un trésor sans même en soupçonner l’existence, et sans savoir en tirer parti.

C’est ainsi que les imaginations s’exaltaient, que les cœurs s’échauffaient les uns contre les autres, et cela par la faute des Boers. Loin de créer des difficultés et des entraves aux uitlanders, ils auraient dû favoriser leur industrie dont, après tout, le pays était appelé à bénéficier tout le premier. Ils auraient dû abandonner Johannesburg aux uitlanders, les y laisser chez eux, les y cantonner, leur y accorder tous les droits municipaux qu’ils auraient voulu, et dans le reste du Rand, c’est-à-dire du pays minier, tout en prélevant sur eux des impôts supportables, se bien garder de contrarier leurs intérêts. En agissant ainsi, on leur aurait très probablement enlevé tout désir de demander davantage, ou autre chose. La plupart d’entre eux ne viennent habiter le Transvaal que pour un certain nombre d’années et ils se retirent après fortune faite. Leur nombre, qui est déjà très considérable, ne peut pas augmenter indéfiniment, et, dans quelques années, il diminuera progressivement. On dit que la ville de Johannesburg a déjà atteint tout le développement dont elle est susceptible. D’ailleurs, les richesses minières du pays, bien qu’elles soient très considérables, ne sont pas inépuisables : les calculs les plus favorables les évaluent à 20 milliards, et, comme on en extraira bientôt 500 millions annuellement, cet immense travail sera terminé dans une trentaine d’années, après lesquelles le pays retombera dans sa pauvreté première. L’étranger s’en ira avec son or, dont il aura laissé une partie entre les mains des Boers et ceux-ci se retrouveront avec leurs pâturages, leur solitude et leur indépendance, s’ils ont eu la sagesse de ne pas la compromettre auparavant. En procédant comme ils l’ont fait, et en opposant aux uitlanders une digue inévitablement insuffisante, ils les obligeaient à déployer, pour la renverser, un effort dont la violence ne s’arrêterait probablement pas là. Ils les obligeaient aussi à chercher un appui au dehors, et de tous les dangers c’était le pire, car, au dehors, il y avait des gens dont les projets étaient tout prêts.

Ces projets ont un double caractère ; ils tiennent à la fois à un grand plan politique et à de simples intérêts financiers, et c’est ainsi que M. Chamberlain, d’un côté, et M. Cecil Rhodes, de l’autre, travaillent conjointement à leur succès. Pour ne parler que du dernier, il s’en faut de beaucoup que les affaires qu’il brasse dans l’Afrique du Sud soient prospères, et que leur avenir soit assuré. On ne peut pas dire que la Rhodesia soit heureuse. M. Cecil Rhodes est un aventurier de grand style, si l’on veut, mais enfin un aventurier, et sa prodigieuse