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activité, doublée d’une imagination plus grande encore, ne s’est pas seulement exercée dans le domaine politique : il y a aussi son œuvre financière. Celle-ci, après être restée quelque temps stationnaire, est sérieusement menacée de péricliter, si quelque circonstance favorable ne vient pas la relever et lui donner un élan nouveau.

Les promesses dont étaient remplis les prospectus d’autrefois sont loin d’être réalisées, et quelques esprits chagrins commencent même à craindre que tant d’espérances grandioses n’aboutissent à un de ces désastres dont l’histoire de la spéculation est remplie. Que faudrait-il pour donner un aliment substantiel à une entreprise en passe de dépérir ? M. Cecil Rhodes est un esprit inventif, et il a imaginé entre autres choses le gigantesque chemin de fer qui doit relier un jour le Cap à Alexandrie ; par malheur, ce jour ne parait pas encore très prochain et le péril est urgent. L’idée de mettre la main sur les mines du Transvaal devait naturellement se présenter à lui comme une de ces idées simples qui plaisent à une intelligence pratique. Mais le Transvaal est un pays indépendant. Si une convention, qui date de quelques années, a mis dans une certaine mesure sa politique extérieure sous le protectorat britannique, il est libre à l’intérieur, et l’on ne peut pas, sans commettre un attentat à la Jameson, porter atteinte à sa liberté, non plus qu’à sa propriété. Il faut du moins pour cela chercher une cause, trouver un prétexte. Il faut de plus intéresser l’Angleterre elle-même au succès de l’entreprise et provoquer à Johannesburg un mouvement d’opinion qui ait aussitôt un retentissement à Londres. Il faut enfin qu’un homme, un ministre, se rencontre, prêt à prendre en main la direction de ces affaires complexes et mêlées. C’est précisément parce qu’il fallait tout cela qu’il était souverainement imprudent de la part des Boers de donner à M. Cecil Rhodes le prétexte qu’il cherchait. Quant à l’homme qui devait, à Londres, s’attacher à ses vues et employer toute la puissance impériale à les faire triompher, il était tout indiqué, il s’offrait lui-même, il brûlait du désir de s’entremettre. La psychologie de M. Chamberlain est aujourd’hui trop connue pour qu’il soit nécessaire de l’exposer. On sait qu’il cherche une occasion : tout paraissait se réunir au Transvaal pour la lui fournir. Il avait dans l’Afrique du Sud non seulement M. Cecil Rhodes, homme à tout entreprendre, à tout oser, à tout faire, mais sir Alfred Milner, qu’il avait placé à la tête de la colonie du Cap, homme intelligent, souple, dévoué, à la fois docile et résolu. Quant à l’opinion anglaise, elle était divisée, mais la poussée d’impérialisme qu’elle subit en ce moment n’en donnait pas moins une force considérable à M. Chamberlain.