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« Je ne veux pas gouverner, si je ne suis pas en état de le faire comme je peux en répondre devant Dieu, devant ma conscience et devant mes sujets. Or, je ne le puis pas, si je dois gouverner d’après la volonté de la majorité actuelle du Landtag, et je ne trouve plus de ministres qui soient disposés à diriger mon gouvernement sans se soumettre, eux et moi, à la majorité parlementaire. Aussi me suis-je décidé à abandonner le pouvoir ; j’ai déjà préparé mon acte d’abdication. » Et le Roi montrait sur la table un document écrit de sa main. « Je suis là, dit alors Bismarck, et Roon avec moi : pour les autres, nous les trouverons. — Soutiendrez-vous, comme ministre, demanda Guillaume Ier, la nécessité d’une réorganisation de l’armée ? — Oui, répondit Bismarck. — Même contre la majorité du Landtag et ses décisions ? — Oui. — Alors, conclut le Roi, c’est mon devoir de tenter avec vous la continuation de la lutte, et je n’abdique pas. » Dès cet entretien, où Guillaume Ier et Bismarck s’abordent et s’associent, le Roi dit sur lui-même le mot définitif. Ce mot qui, pour Bismarck, est : « Il faut, » est, pour Guillaume Ier : « C’est mon devoir. »

Le Roi n’est plus ce faible, fantasque, romanesque et romantique Frédéric-Guillaume IV, qui ne se défendait pus, à de certaines heures, de quelque penchant pour Bismarck, mais qui s’en écartait, l’instant d’après, et sans motif, sur une lubie ; qui voyait en lui, et se plaisait à y voir, « un œuf qu’il venait de pondre et qu’il couvait, mais qui, s’il s’était produit entre eux des divergences de vues, se serait toujours dit que l’œuf voulait être plus avisé que la poule ; » prince à vagues et flottantes velléités d’absolutisme, avec des abandons, des épanchemens, des retraites et des reviremens subits, sous lequel il était plus difficile que sous un autre « d’être à la fois obéissant et responsable ; » qui, cependant, exigeait la soumission totale, refusant de prendre pour ministres les hommes qui l’eussent le mieux servi, s’il supposait que leur richesse dût être pour eux une garantie d’indépendance, regardant cette indépendance comme un manque de docilité, et voulant tenir tout fonctionnaire par là, par le besoin de sa place. Chef d’État irrégulier dans l’expédition des affaires, « accessible à des influences de personnages sans mandat qui s’introduisaient par des portes dérobées, d’intrigans politiques qui, depuis les temps reculés où les électeurs étaient la proie d’adeptes et de faiseurs d’or, ont toujours su s’insinuer dans la maison régnante de Prusse :