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cet exemple de notre humaine infirmité, Pascal énonce en même temps une règle supérieure du goût. Cette règle fondamentale, Castelar plus d’une fois l’a méconnue ; mais il était bien trop artiste pour ne pas profiter souvent des effets qui naissent du contraste des tons dans le discours. Sa nature même l’y engageait. On sait comment, sur le tard, Renan avait découvert qu’il existait en lui, sous le Breton sévère qu’il fut d’abord, un Gascon heureux de vivre. Je ne crois pas me tromper en affirmant que le tempérament moral de Castelar a toujours présenté un dualisme assez semblable. Il y avait en lui un théoricien mystique et convaincu, épris de son idéal, volant vers les hautes cimes, — c’était le côté grave, le côté castillan ; — et, d’autre part, il y avait l’Espagnol du midi, gai, bon enfant, amoureux de fanfare et tout en dehors, avec cela très délié et très diplomate. Cet Espagnol-là se laissait déjà soupçonner, de loin en loin, dans les leçons de l’Athénée ; il apparut, dans les Cortès, en maintes circonstances. Et l’on avait alors un Castelar très différent, qui semblait avoir dépouillé ses grandes ailes et se réduisait à parler, comme les autres hommes, le langage tout uni de la simple raison. Il y mêlait un certain enjouement, sorte d’humour très fin et très particulier, où l’épigramme perçait dans un sourire, dans un mot, parfois dans une anecdote qu’il contait, en passant, avec la grâce et l’ironie légère, ailée, presque impalpable de Cervantès. On pourrait ainsi de ses douze ou quinze volumes de Discours extraire un Esprit de Castelar qui le ferait paraître ce qu’il était quand il voulait : un maître consommé dans l’art de manier l’ironie.

La politique qui se faisait alors lui en offrait sans cesse l’occasion. Il se jouait à Madrid, dans les conseils du gouvernement et dans les couloirs de l’assemblée constituante, une étrange comédie d’intrigue, que l’on eût pu intituler : Les politiciens à la recherche d’un roi ; car c’était là, en vérité, toute la pièce. On demandait un roi ; on le demandait aux échos d’alentour, on allait de porte en porte sans le trouver nulle part ; or, on en voulait un, quel qu’il fût. Cet acharnement s’expliquait par mainte raison, et d’abord par ce fait tout simple que les auteurs de la révolution de septembre n’étaient en aucune manière des républicains. Les grands coups avaient été frappés, comme toujours, par des militaires, lesquels étaient foncièrement monarchistes. Celui-là même qui, de son navire, avait donné le signal du branle-bas, l’honnête amiral Topele, disait depuis à qui voulait l’entendre que, en arborant