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fut élu roi d’Espagne. C’en était fait, pour Castelar, des espérances prochaines. Entre son idéal et lui le mur se relevait.


III

Le mur se relevait, oui ! Mais pour combien de temps ? Quelle apparence que cette royauté italienne jetât des racines dans un sol qui repousse l’étranger ? Castelar, sur ce point, n’avait aucun doute ; il connaissait trop bien le génie de sa race ! Et, sans perdre courage, il résolut de continuer la lutte. Il la continuera sur le même théâtre, je veux dire aux Cortès. Dans les deux années que durera le règne d’Amédée, autant et plus encore que dans les deux années de l’interrègne, son rôle est, avant tout, un rôle parlementaire. Chose très nouvelle, il s’y maintient dans la stricte légalité. De l’insurrection il ne veut rien attendre. Lorsque la royauté fut rétablie, des émeutes éclatèrent dans plusieurs grandes villes, et notamment à Saragosse, où les insurgés, qui se rappelaient, dit-on, quelques paroles imprudentes qu’ils avaient prises pour des engagemens, espérèrent l’arrivée de Castelar ; mais en vain : Castelar n’alla pas les rejoindre. Déjà son évolution, — la grande évolution qui apparaîtra soudain en 1873, lorsqu’il acceptera la dictature, — s’élaborait et commençait à poindre. Il va donner les premières marques de cet esprit très politique, par où il s’éloignera de plus en plus des autres chefs républicains, et auquel longtemps on a refusé de croire, tant cet esprit de prudence et d’adresse semblait inconciliable avec ses envolées de poète et ses abstractions de théoricien. Voilà le trait qui caractérise son opposition sous le règne d’Amédée. Cette opposition est sans doute acharnée ; mais, j’y insiste, elle est légale. J’ajoute qu’elle se montre avisée. Elle ne craint pas de recourir à des moyens inférieurs, mais dont l’utilité est positive. On le voit s’initier à la tactique parlementaire et s’exercer dans l’art des compromis.

Il en eut bientôt l’occasion. Les républicains avaient réussi, non sans quelque peine, à pénétrer dans les Cortès de la nouvelle monarchie. Ils étaient près d’une centaine, arrivés là en dépit des efforts du ministre de l’Intérieur, le très habile Sagasta, qui avait fait les élections ; mais, une fois dans la place, ils n’étaient pas plus avancés ; ils ne pouvaient rien dans leur isolement, réduits à tourner dans le cercle indéfini des beaux discours et des