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timidité. La vérité est que Figueras tremblait devant les violens. Et ce fut un premier désastre de cette infortunée république d’avoir à sa tête, pour débuter, un homme assurément distingué, bien intentionné, orateur de talent, avocat habile, esprit fin et souvent juste, plein de souplesse et fertile en ressources, capable de discerner le vrai, mais incapable, hélas ! de le suivre, alors que la crainte, la perpétuelle crainte, le paralysait. Sa raison, sa prudence, eussent fait de lui un modéré ; la faiblesse de son caractère le livrait en proie aux énergumènes.

Aussi bien là était le péril, le péril immense du régime nouveau. Ses plus graves embarras lui venaient de ses partisans. Castelar et ses amis allaient éprouver le sort commun des révolutionnaires qui arrivent au pouvoir, impuissans à contenir les passions qu’ils ont déchaînées. Ce n’est jamais impunément que l’on excite les foules ! Elles sont très conséquentes et vous prennent au mot. La logique populaire a bientôt fait de mettre en action la morale subversive que ses tribuns lui ont enseignée. Or, le premier article du credo formulé par les chefs du parti républicain en Espagne était le fédéralisme. République et fédéralisme étaient, pour eux, deux termes connexes ; l’un n’allait pas sans l’autre ; n’était-il pas logique qu’il en fût de même dans la réalité, et que, faisant la république, on la fît d’emblée ce qu’elle devait être, ce qu’on avait toujours déclaré qu’elle serait, c’est-à-dire fédérale ? Nous touchons ici à l’une des erreurs colossales auxquelles Emilio Castelar eut le malheur de se laisser prendre et qu’il eut le malheur plus grand encore de propager. A la vérité ce n’est pas à lui que revient le triste honneur d’avoir imaginé cette utopie néfaste. L’inventeur de « la Fédéral » est un des esprits les plus faux que le pays de don Quichotte ait produits ; je veux parler de M. Pi y Margall. Il importe de rappeler quel fut le rôle de ce dangereux idéologue. On peut dire que Castelar et lui ont symbolisé, chacun à sa manière, la République espagnole ; ils en ont été les deux courans contraires ou, si l’on veut, deux pôles opposés.

Catalan, M. Pi y Margall l’était non seulement par un côté de son caractère conséquent et tenace, mais d’abord par son idéal politique. Il avait proclamé très haut ce que, dans sa province, on murmurait tout bas : il avait su donner à l’instinct séparatiste de la Catalogne le cadre scientifique et la spécieuse rigueur d’un système ; il s’était fait, depuis vingt ans, le théoricien de la fédération