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ce qu’est l’aspect d’un hameau le jour du tirage au sort ! » Et, dans le même discours, il réclamait le service militaire « comme en Suisse. » Il pouvait bien avoir raison en théorie, et au point de vue de l’Espagne qui, par l’effet de sa situation géographique à l’extrémité de l’Europe, derrière ses Pyrénées, est dans une condition si différente de la nôtre, on a pu dire que la solution la plus expédiente serait une imposante gendarmerie. Malheureusement, en 1873, cette gendarmerie idéale n’existait pas ; et l’armée, qui pouvait en jouer le rôle, bientôt n’exista plus. Les nouveaux maîtres la sapaient par la base. Moins d’une semaine après leur avènement, une loi abolissait la conscription et y substituait le recrutement par les engagemens volontaires. L’œuvre insensée des pouvoirs publics se poursuivait ainsi en partie double : on désorganisait l’armée régulière et on organisait l’armée de l’insurrection. Je ne crois pas que jamais plus de folie ait présidé à la conduite des affaires humaines.

Ces théoriciens avaient lancé des mots que les foules n’oublient pas. Le soldat en avait retenu cette idée bien simple qu’il était libre ou, comme on lui disait, « autonome. » Ses généraux, ceux du moins qu’il voyait croître en faveur, investis des grands commandemens, l’entretenaient dans cette illusion.

Les nouveaux gouvernans, depuis la première heure, étaient hantés par la terreur d’un pronunciamiento monarchique. Ils écartaient les généraux capables, tenus pour suspects par cette raison que leur carrière s’était faite nécessairement sous la monarchie ; ils accordaient en revanche une confiance sans réserve à un petit nombre d’officiers en rupture de ban, dont le civisme leur paraissait être au-dessus de tout soupçon ; c’étaient des soldats d’aventure, comme Contreras, qui allait diriger la révolte de Carthagène ; d’anciens insurgés, comme Hidalgo, dont le scandaleux avancement avait été cause de la démission collective des officiers d’artillerie ; des cerveaux brûlés comme Pierrad, qui bientôt devait se mettre à la tête de l’insurrection de Séville ; ou d’anciens déserteurs, comme cet étrange capitaine Estevanez, dont on fit un gouverneur de Madrid, puis un ministre de la Guerre, et qui, en pleines Cor tes, convaincu d’avoir autrefois déserté le drapeau, répondait avec une aimable simplicité : « C’est vrai, mais que voulez-vous ? je ne me sentais aucun goût pour le métier. » On conçoit que des chefs pareils étaient peu propres à maintenir l’armée dans le devoir. Aussi les troupes en usaient-elles le plus