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de lui cacher la vérité, comme au public. Figueras, avec son optimisme voulu, tentait de l’endormir ; tout, soi-disant, allait au mieux. Ce malheureux président abusait de la misérable ressource des cœurs faibles : il mentait, mentait sans relâche.

La situation de Castelar dans le ministère était des plus fausses ; son rôle fut, par suite, fort effacé. Il adressa aux chancelleries des mémorandums et des circulaires où il prodiguait de son beau style des déclarations rassurantes, qui ne rassuraient personne. Il ne put, par la faute de ses collègues, obtenir que la République fût prise au sérieux et reconnue de l’Europe. Il n’eut, dans les quatre mois où il fut ministre, qu’un seul grand succès, et il l’eut bien moins comme ministre que comme orateur. Il enleva aux Cortès, avant leur séparation, le vote d’une loi qui abolissait l’esclavage à Puerto-Rico. Après ce triomphe, dû à son éloquence, à son ascendant personnel, et qu’il déclare avoir été l’un des plus glorieux de sa vie, il eût bien fait de quitter le ministère où il ne pouvait que se compromettre sans résultat, réduit à la condition d’un donneur de conseils que l’on ne suivait pas. Sur aucune question il n’était d’accord avec M. Pi y Margall. C’était la discorde à tous les instans. Il répétait à qui voulait l’entendre : « Je suis ministre, je ne suis pas ministériel. » Mais il était rivé à ce ministère par le vote des Cortès, et attendait avec impatience qu’une autre assemblée le relevât de ce poste où il ne comptait plus les déboires. En se retirant avant cette échéance, ne risquait-il pas d’augmenter encore les difficultés, de les compliquer par une crise ministérielle, et d’ajouter cette cause de désordre à tant d’autres ?

Les élections se firent au milieu de l’universel désarroi. Elles furent lamentables. Tous les anciens partis s’entendaient pour user de la tactique traditionnelle que l’on nomme là-bas el retraimiento, l’abstention en masse : on faisait le vide autour des urnes ; les républicains étaient seuls à voter. Si l’on excepte quelques grandes villes, c’était à peu près le cinquième des électeurs.

Le gouvernement, on peut le dire, avait la chambre qu’il méritait ; chambre ignorante, incohérente, de tempérament révolutionnaire. Il y avait une poignée d’hommes relativement modérés ; ils se groupèrent autour de Castelar, composant une droite qui partout ailleurs eût été une gauche assez avancée. Il y avait aussi quelques monarchistes, dont trois ou quatre étaient des personnages ; le grand orateur Rios Rosas, Esteban Collantes, l’ancien ministre de la reine Isabelle, et le futur ministre d’Alphonse XII,