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autant de déclarations qui ressemblaient fort à des truisms. Cependant tel était le malheur des temps que ce langage produisit l’effet d’une nouveauté hardie. M. Salmeron ajoutait, et cette phrase peignait au vif l’homme et ce groupe de métaphysiciens politiques : « Il est certes bien dur de parler ainsi quand on a rêvé de gouverner seulement avec l’aide des armes que fournit la raison... » La chose en effet lui parut si dure que, six semaines après, il quittait la partie. Il avait les mains liées par ses propres doctrines. Il avait, durant vingt années, prêché l’abolition de la peine de mort. Or cette question de la peine de mort se posait, pressante et urgente, à l’occasion d’un projet de loi dont les Cortès étaient saisies ; il y allait du rétablissement de l’ordre public ; il fallait des exemples pour inspirer une crainte salutaire à tous les coquins qui se croyaient assurés de l’impunité sous la république fédérale ; il en fallait pour restaurer la discipline dans l’armée. M. Salmeron se trouvait placé entre ses théories et la réalité impérieuse. Il sentait bien qu’il fallait punir, mais n’avait pas le courage de sacrifier ses croyances philosophiques. Il préféra abandonner le pouvoir. En se retirant, il conseilla aux Cortès de choisir Castelar, lequel, du reste, n’avait pas cessé d’être son inspirateur toujours écouté. Au fait, il ne restait plus dans le parti républicain que Castelar ; il était la dernière réserve ; il était l’homme désigné par tous. Il fut porté à la présidence le 8 septembre 1873. L’histoire de ses idées entrait dans une phase nouvelle.


E. VARAGNAC.