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Iéna, agissant dans le sens national allemand, depuis le commencement du siècle n’agissait peut-être pas, pourtant, dans le sens monarchique prussien ; le haut enseignement surtout, et l’enseignement secondaire, auquel Bismarck imputait avec amertume les erreurs de doctrine de ses dix-huit ans : on se rappelle l’aveu par lequel s’ouvrent les Pensées et Souvenirs : « Produit normal de notre enseignement officiel, j’étais, au sortir du gymnase, panthéiste et républicain. » Il y avait aussi la presse, et le ministre en compagnie de qui Guillaume Ier se résignait à courir l’aventure du règne avait appris à Francfort l’art délicat d’en jouer, art dans lequel il devait acquérir une incomparable maîtrise ; mais, à cette date, et avant qu’il leur eût donné l’intonation, il classait les éditeurs ou les directeurs de journaux sur le même rang que les parlementaires, parmi les « révolutionnaires » plus ou moins consciens, dont le Credo n’a qu’un article, et qui est une négation : « Il faut tout démolir[1]. » L’antienne que Bismarck voulait leur faire chanter disait précisément le contraire : « Il faut tout consolider, afin de construire quelque chose. »

Au demeurant, ces « révolutionnaires » de couloirs ou d’imprimerie n’étaient, dans le fond, que des rhéteurs, des sceptiques, de beaux esprits, des « libéraux. » Et qu’est-ce que le « libéralisme ? » Bismarck le définissait, à ce moment même : « un enfantillage qu’il est facile de mettre à la raison ; » il s’en débarrassait, il l’exécutait d’une chiquenaude. Mais qu’est-ce que la « révolution, » la vraie ? « La révolution est une force, et il faut, — on peut le déplorer et cependant il le faut, — il faut savoir s’en servir[2]. » Or, la révolution, — toute l’histoire moderne en témoigne, — réside à l’état latent, et même quand elle est invisible, et même quand elle y dort, toujours présente, toujours à fleur de terre, dans le peuple ; elle est littéralement endémique, et peut d’ailleurs ne point se manifester, mais ne se perd pas. Cette force populaire naturelle, de l’existence et de la constance de laquelle on ne saurait douter, et dont l’intervention de plus en plus fréquente a bouleversé, ouvert, étendu, renouvelé la politique, le souci de l’homme ; d’État, qui se sent impuissante la supprimer, doit être de la diriger ; pour la diriger, de la canaliser ; pour la canaliser, de la légaliser. Tout à fait clairvoyant, il s’avisera qu’elle n’est dangereuse pour lui que comprimée : il aidera à son expansion, il lui donnera du jour

  1. Pensées et Souvenirs, t. I, p. 76.
  2. Julian Klaczko, Deux Chanceliers, p. 163.