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sportsman fort novice, passait la revue de ses poulains ; devant l’un d’eux, en train d’absorber son avoine, il témoigna son admiration au stud-groom qui observa : « Oh ! cet animal paraît encore bien plus beau quand il est étendu. — Eh bien ! répliqua le maître, étendez-le donc tout de suite. »

Il y a, en revanche, nombre de propriétaires qui surveillent leur entraînement et leur élevage avec autant de compétence que d’attention. Il y en a parmi les jeunes, témoin M. J. de Brémond, le héros du sport en ces dernières années, comme parmi les doyens ou les disparus, tels que MM. Delamarre, le comte de Berteux, A. Lupin, le baron Finot. Un de ces dilettantes, M. Aumont, se fit installer naguère une chambre dont le mur était mitoyen du box de son cheval Monarque. Par un judas qu’il ouvrait sans bruit, il pouvait s’assurer à toute heure, de nuit ou de jour, que son « crack » dormait d’un bon sommeil ou mangeait avec appétit.

Cependant, parmi les plus avisés, on n’en cite que deux ou trois qui, depuis un demi-siècle, aient fait fortune ; et cette fortune même est, comme il arrive toujours, très exagérée par le bruit public. Pour ne parler que des morts, M. Lupin a conduit avec bonheur, de 1840 à 1890, une écurie notable : son bénéfice de cinquante années, pendant lesquelles ses dépenses et ses recettes s’étaient seulement équilibrées, consista dans le produit de ses ventes qui atteignirent 1 700 000 francs au moment où il cessa de faire courir. Inutile de dire que l’économie de la gestion joue un rôle dans les profits éventuels : chez le baron Finot, où le personnel est réduit au minimum, où tout le monde, depuis les jardiniers jusqu’aux bouviers, sait donner des soins aux pur-sang, ils coûtent moins cher à élever que là où l’escouade des palefreniers et des lads, grassement appointés, ne manque pas de loisirs.

La sagacité la plus éveillée ne saurait du reste suppléer au hasard : l’écurie bien connue, dont M. Delamarre est le chef et le principal intéressé, profita des victoires de Boïard, en 1874, pour rembourser à ses associés leurs mises premières ; mais, depuis vingt-cinq ans, elle n’a réussi qu’à se maintenir, sans distribuer aucun dividende ; tandis que les écuries Ephrussi et Soubeyran, plus favorisées par le sort, se soldèrent régulièrement en gain. Parfois il faut supporter trois ou quatre mauvaises années de suite ; une cinquième vous récompense. Les gros capitaux résistent, les petits sombrent.