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Tous ces gens-là recueillent des listes de paris, qu’ils vont porter à des bookmakers plus ou moins véreux, moyennant une commission de 3, 4 ou 5 pour 100. Beaucoup reçoivent, par journée de course, jusqu’à 4 et 5 000 francs d’enjeux. Pendant les réunions de Trouville, les recettes des agences sont doublées. On juge si, pour cette classe médiocrement fortunée, l’opération est lucrative. Appréhendée pour ce délit, une loueuse de bicyclettes disait cyniquement aux agens : « Où veut-il en venir M. Leproust ? — le chef de la brigade des jeux — j’ai gagné 40 000 francs l’année dernière ; s’il veut que je cesse, il faudra qu’il me trouve un autre métier ! »

Quant aux bookmakers à qui aboutissent ces paris, ils ne font pas de moins bonnes affaires ; en principe, ils doivent payer suivant le rendement des guichets publics ; mais ils imposent en outre, à leurs cliens inconnus, une convention en vertu de laquelle ils ne devront, en aucun cas, plus de 20 contre 1 pour les chevaux gagnans, plus de 6 contre 1 pour les placés. Souvent ils font eux-mêmes la contre-partie comme un banquier de jeu ; quitte, s’ils perdent, à disparaître. D’ailleurs très obligeans : tel les charge de « ponter » 1 fr. 23 sur la première course, en reportant les bénéfices sur la seconde et ainsi de suite ; de façon, s’il réussit, à gagner peut-être 50 francs ! Et, comme il y a de temps à autre des profits inouïs, enflés encore par la rumeur de ce petit monde, les naïfs, excités, vident leurs poches.

Ces bookmakers des pauvres, souvent fort aisés eux-mêmes, ont leurs rabatteurs attitrés : c’est le garçon de café qui, en enlevant la soucoupe des consommateurs, reçoit d’eux une bande de papier contenant leurs ordres du lendemain ; c’est la marchande de journaux à qui les cliens rendent une gazette prêtée, dans les plis de laquelle se glisse l’enveloppe indiquant les commissions à exécuter sur le turf ; c’est, dans la cuisine du cabaretier, près du fourneau, pour les y pouvoir jeter en cas de perquisition, ou c’est dans la poche de la bonne, que les limiers de police soudainement apparus découvrent 15, 20, 30 listes de paris. Les surveillances ne peuvent s’exercer utilement qu’entre 11 heures et 2 heures de l’après-midi ou le matin, au moment des règlemens de compte. Intermédiaires et parieurs sont également retors ; il n’y a aucun matériel apparent et, pourtant, il faut saisir l’élément constitutif de la contravention.

Certaines maisons, connues pour servir au pari clandestin,