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désert, les trois mosquées tombent en ruines, et les maisons, dont le crépissage de chaux vive s’émiette au vent, semblent des amas de décombres, sur lesquels paraissent pleurer les grandes femmes vêtues de bleu, qu’on voit étendues sur les terrasses, aux soirs étoilés.


Mauvaises nouvelles. Un cavalier monté à méhari, qui est venu à marches forcées de Ghardaïa, m’apporte de la part du colonel Didier une lettre qui m’atterre :


« Cher Monsieur, le lendemain de votre départ, j’ai appris qu’un rezzou de trente meharas, dirigé par l’un des pillards les plus hardis du Sahara, avait enlevé un poste à Hassi-el-Hiran. La ligne d’opération de ce bandit est très rapprochée en certains points de la route directe d’Ouargla à Inifel, de sorte qu’il serait imprudent de s’engager sur cette dernière. Je vous engage donc à ne pas aller à Inifel, au moins d’Ouargla ; à El-Goléa, on vous dira si vous pouvez faire cette pointe. La route directe d’Ouargla à El-Goléa n’est pas, dans ces temps de trouble, très catholique et il vaudra peut-être mieux faire un crochet et passer par Hassi-el-Hadadra. M. le lieutenant Boucherie vous indiquera d’ailleurs ce qu’il y a de mieux à faire. Vous jouez de malheur ; car voilà deux ans que nous n’avions pas eu de ces incursions... »


Ce qui, dans cette lettre, a l’apparence de conseils, a pris, dans le message officiel arrivé en même temps pour le lieutenant, la forme d’ordres précis. Aussi M. Boucherie, responsable de notre sécurité, ne veut-il nous laisser partir ni pour Hassi-Inifel par la vallée de l’Oued-Myâ, ni pour El-Goléa par la route directe de la Hammada. Malgré mes instances, le refus est formel : le massacre de quatre Arabes à Hassi-el-Hiran et l’enlèvement de nombreux chameaux rendent, paraît-il, la prudence indispensable. Un instant je crains même de ne pouvoir dépasser Ouargla et d’être obligé de remonter vers le Nord par Touggourt et Biskra. Mais, grâce à Dieu, tout s’arrange enfin ; nous obliquerons au nord, et passerons par Hassi-el-Hadadra. M. Boucherie nous donnera, en prévision d’une attaque possible, une escorte de cavaliers du maghzen. Nous prendrons d’ailleurs les précautions les plus minutieuses, restant toujours groupés, et nous entourant la nuit de sentinelles.